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     Les Malgré Nous

    Journal l'Alsace du 25 août 17

    INCORPORATION DE FORCE« Sous les nazis, il n’y avait plus de libertés »

    Le Strasbourgeois Charles Kohler (classe 1927), qui a vécu sa jeunesse à Colmar, a échappé à l’incorporation de force grâce à différents subterfuges. « Flakhelfer » près de Karlsruhe, il s’est caché ensuite jusqu’en février 1945, pour s’engager dans l’armée française à la Libération. Cet Européen convaincu analyse la nazification de l’Alsace.

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    Lorsque les nazis ont investi Colmar, Charles-Louis Kohler, pâtissier de la rue des Têtes, a élaboré plusieurs stratagèmes pour épargner son fils. Certains ont fonctionné – Charles n’a pas été incorporé de force – d’autres pas. « L’administration allemande étant très rigoureuse, il fallait chercher les failles dans les lois pour essayer de s’en tirer » , assurait Charles-Louis, sûr de son expérience à l’époque du Reichsland.

    Ancien fonctionnaire du Conseil de l’Europe, Charles Kohler – qui est le père d’Alexis Kohler, secrétaire général de l’Élysée – travaille sur un livre, avec des photographies, retraçant quatre générations de l’épopée familiale. « Parler de faits de guerre ne suffit pas. Il faut que les jeunes d’aujour-d’hui comprennent la politique de nazification croissante des Allemands de 1940 à fin 1942, début 1943 » , affirme ce vaillant nonagénaire. Bien qu’âgé seulement de 13 ans en 1940, il a vécu la mise au pas de l’Alsace par les nazis. Mais aussi les actes de refus des Alsaciens.

    Sa camarade jouait les « Polonaises » de Chopin

    Plus de 70 ans plus tard, il n’a pas oublié ces soirées d’été lorsque Claude, la fille de la voisine d’en face, sa camarade, jouait les Polonaises de Chopin, fenêtres grandes ouvertes. Sa mère, Erika Sittler, ne se contentera pas de narguer les nazis avec des valses. Elle se mettra en danger pour sauver des jeunes Malgré-Nous.

    Jusqu’en 1939, Charles Kohler n’avait jamais parlé allemand en famille, ses parents souhaitant qu’il soit parfaitement francophone. Pourtant ses deux grands-pères, mariés à des Alsaciennes, étaient allemands. Né à Fribourg, François-Joseph Kohler, qui ne jurait que par la pâtisserie viennoise, avait créé son entreprise à Colmar en 1898. L’autre grand-père était fonctionnaire allemand et avait épousé une fille originaire de Voegtlinshoffen. En 1918, il est expulsé avec femme et enfants. L’une de ses filles reviendra travailler à Colmar, dans la pâtisserie Kohler. C’est le coup de foudre entre Charles-Louis et la belle Marguerite, qui se marient fin 1925 et auront deux fils, dont Charles.

    En septembre 1939, son père et son oncle – professeur au lycée Bartholdi, ami de Marie-Joseph Bopp (*) – sont mobilisés par l’armée française. Après la débâcle et l’Armistice de 1940, l’Alsace est annexée par le IIIe Reich. À la rentrée de 1940, parler français est interdit. Mais surtout, appuie Charles Kohler, dans un long récit, « il n’y a plus de liberté. Tout ce qui est politique, associatif, syndical passe par le parti nazi. » Il est mal vu aussi d’aller à l’église ? Charles-Louis emmène son fils tous les dimanches à la messe des Dominicains…

    « Dans la cour du lycée, lors du salut au drapeau à croix gammée, les jeunes Alsaciens faisaient seulement semblant de chanter » , se souvient Charles. Curieux de tout, il laisse t traîner ses oreilles. Un jour, un pâtissier annonce son désir de s’engager chez les Waffen SS. « C’était plus par désir d’aventure que par conviction » , lâche-t-il. Les autres ouvriers essaient de l’en dissuader. « Dans toutes les entreprises, il y avait un délégué du syndicat nazi. Lorsqu’il y avait une manifestation au Champs de Mars, il disait aux autres : “Je veux vous y voir tous !” » , explique Charles, en évoquant « cette chape de plomb qui recouvrait tous les domaines de la société ». Et d’ajouter que « déroger à la règle, voire se révolter, pouvait mener au camp de rééducation de Schirmeck, parfois même au poteau d’exécution après une condamnation par le sinistre juge Freisler ».

    En 1943, ce sont les premiers conseils de révision pour les garçons de 16-17 ans. Charles-Louis a étudié les textes. Son fils devra, le moment venu, « s’engager dans la Kriegsmarine pour devenir médecin ». « Nous avions une année supplémentaire avant d’aller sur le bateau, mais cela n’a pas marché » , constate-t-il. Pourtant, Charles avait suivi la formation des jeunes mousses sur l’Ill, à Colmar, sur la Sarre et même à Stettin, dans l’actuelle Pologne.

    Lorsqu’il est convoqué devant le conseil de révision du RAD ( Reichsarbeitsdienst ), le médecin le déclare inapte. Cela ne l’empêche pas de passer devant le conseil de révision des SS. Il refuse de signer un autre engagement, au nom de celui dans la Kriegsmarine. « Au bout de trois fois, l’officier m’a fichu la paix » , indique-t-il. Mais il comprend que « des camarades aient pu céder sous une pression tout sauf amicale ».

    « Ne pas descendre des avions alliés »

    Les élèves du lycée Bartholdi nés en 1926 et 1927 sont envoyés comme Flackhelfer dans la périphérie de Karlsruhe. Ils portent l’uniforme avec un calot bleu. « Comme j’étais fort en maths, on m’a sélectionné comme calculateur de tirs. Mes données étaient envoyées aux camarades qui tiraient » , raconte-t-il. Son ami Francis Finker, scout de France avant la guerre – et dont les parents tenaient la charcuterie de la rue des Têtes –, propose de tout faire pour « ne pas descendre des avions alliés ».

    « On a été la batterie la plus nulle ! Les trois officiers et sous-officiers allemands n’avaient pas compris qu’on sabotait la batterie » , sourit-il. Leurs supérieurs les traitaient de « doofe Elsässer » (Alsaciens obtus). « Mais sans doute en vue d’améliorer nos performances, ils nous obligeaient à ramper torse nu dans les champs de blé, qui venaient d’être moissonnés. On s’entaillait la peau avec les bouts de paille. C’était fait pour nous abrutir. Comme la Hitlerjungend », observe Charles Kohler. Pendant ce temps, les avions américains passaient au-dessus d’eux par vagues de 500…

    La répression s’accentue encore, après l’attentat raté contre Hitler. Le projet de la Kriegsmarine du père de Charles ne se réalise pas. L’armée allemande ayant de plus en plus besoin de chair à canon sur le front russe, Charles est finalement enrôlé dans l’infanterie. Il informe Erika Sittler qu’il va fuir en Suisse. « Si tu fais ça, tes parents et ton frère seront transplantés en Pologne » , réplique-t-elle. Cette femme médecin – ou infirmière, selon certaines sources – le fait hospitaliser à la clinique Saint-Joseph où elle lui plâtre l’épaule et échange la radio avec celle d’un autre malade. « Tu ne parles à personne ! » , lui ordonne-t-elle. Mais on n’est pas sérieux quand on a 17 ans… Dans le couloir, il croise une dizaine d’autres lycéens qui avaient reçu leur convocation. Les religieuses craignent le contrôle du médecin recruteur, mais ce dernier n’est jamais venu. Charles Kohler se demande aujourd’hui encore comment Erika Sittler a pu éviter à ses camarades et à lui-même d’être envoyés au front.

    Le combat européen

    Lorsqu’il n’était plus en sécurité dans la clinique, ce sont les Rentz, des amis viticulteurs à Zellenberg, qui cachent le jeune homme. Il participe même aux vendanges de l’automne 1944. Cependant, le 23 novembre, il part le long de la Fecht pour aller voir sa mère à Colmar. Son père est, ce jour-là, à Strasbourg. Charles ne pourra jamais rentrer à Zellenberg car « la poche de Colmar s’est refermée ». Il reste caché plus de deux mois dans la cave, malgré les injonctions des recruteurs allemands à rejoindre son unité. « Il ne fallait pas sortir dans a rue… » Pendant ce temps, son oncle Paul cache deux jeunes Alsaciens, évadés de Russie dans sa maison de Reichsfeld…

    Le 2 février, Colmar est libéré. Charles s’engage pour la durée de la guerre dans l’armée française. Versé au 8e régiment d’artillerie, il sera calculateur de tir. « Ma formation dans la Flak allemande aura finalement servi ! » , ironise-t-il. Il minimise d’évidence les dangers des derniers mois, durant lesquels son régiment stationnait en Pays de Bade. Il n’a pas envie d’en parler. « J’étais mal à l’aise, je n’aimais pas l’esprit militaire… » , glisse-t-il. Ni sans doute une certaine arrogance des vainqueurs. Le 2 septembre 1945, le Japon capitule. La guerre est terminée pour Charles Kohler. Car un décret permettait aux engagés volontaires de quitter l’armée pour reprendre les études. En décembre 1945, il reprend son cursus à Strasbourg, avant d’intégrer l’école hôtelière de Lausanne. Plus tard, avec sa femme, il suivra des études du droit. À la sortie de la guerre, Charles Kohler ne s’est mêlé ni aux incorporés de force, ni aux anciens combattants. Seule la construction européenne l’intéressait. Le combat de toute une vie, qui l’a mené à s’engager pour Emmanuel Macron.

    (*) Il est l’auteur de L’Histoire de l’Alsace sous l’occupation allemande (éd. Place Stanislas).

     Journal l'Alsace du 23 août 2017

    INCORPORATION DE FORCE : René, chanceux dans son malheur

    75 ans après l’instauration par les nazis de l’incorporation de force en Alsace, les histoires vécues par les Malgré-Nous n’en finissent pas de surprendre. Aujourd’hui âgé de 91 ans et domicilié à Illkirch, René Jund raconte avec un esprit remarquablement clair ses tribulations forcées dans la division Das Reich (Waffen SS) à seulement 17 ans.

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    La vie a décidé pour lui. René Jund est né le 7 août 1926 à Strasbourg ; ce hasard consistant à être un Alsacien de la classe 26 l’a conduit, bien malgré lui, comme beaucoup de ses camarades conscrits, à intégrer les rangs de la Waffen SS en 1944, à seulement 17 ans. René Jund l’affirme pourtant aujourd’hui, dans sa maison d’Illkirch-Graffenstaden, quelques jours après avoir fêté dans une bonne forme apparente ses 91 ans : durant la Seconde guerre, il a eu « beaucoup de chance » ! Parce qu’il a survécu, évidemment, mais aussi parce que, lors de ce passage forcé de quelque six mois dans une unité SS, il ne s’est pas trouvé dans la situation « de tuer quelqu’un, ni même de tirer sur quelqu’un… Et on avait plus à manger que dans la Wehrmacht… » Né un an plus tôt, son frère Alfred a échappé à la SS ; mais, incorporé de force lui aussi, il est parti avec la Wehrmacht en Russie. Et il n’en est jamais revenu : il est décédé sur le front Est en avril 1944.

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    « Les héros, ils sont au cinéma ! »

    René a fait sa carrière professionnelle dans l’électromécanique. Durant les 75 dernières années, il a peu évoqué ses aventures de guerre ; il estimait que d’autres ont bien plus souffert que lui, en particulier ceux qui sont passés par Tambov. Il les raconte aujourd’hui sans pathos, avec distance, l’esprit extrêmement clair. À l’écouter, on constate la remarquable efficacité de son ange gardien, effectivement. Mais on est aussi étonné de voir comment ce gamin eut l’intuition, à plusieurs reprises, de prendre les risques qu’il fallait.

    Le 8 février 1944, René Jund est à peine rentré (depuis deux ou trois semaines) de trois mois de Reichsarbeitsdienst (RAD) qu’il doit monter dans un train militaire. Celui-ci le conduit dans la région de Bordeaux, où on l’affecte à la 11e compagnie du régiment Der Fuhrer de la division Das Reich. « On n’était au courant de rien ! Les SS, je savais que ça existait, mais je ne savais pas vraiment ce que c’était… » Dans cette compagnie, les Alsaciens sont nombreux : « Sur 120 hommes, on devait être 40 ou 50 d’Alsace, tous de la classe 26. » Parmi eux, trois autres habitants d’Illkirch, la ville où René a grandi. Les premiers mois sont consacrés à l’instruction. Les événements s’accélèrent avec le Débarquement du 6 juin 1944 ( « l’invasion » , disent alors les Allemands). Du côté de la Haye-du-Puits, dans la Manche, la 11e compagnie, qui se déplace à pied, est pilonnée par des tirs venant de la Mer. « Ça a duré trois jours et trois nuits. C’était atroce : après ça, la moitié des soldats de notre compagnie étaient morts ou blessés… » Si René s’en est sorti sans encombre, c’est parce qu’il avait été désigné peu avant pour compléter l’équipage d’un blindé qui prenait une autre route… « Ce fut ma première grande chance ! » Dans ces combats du Débarquement ont disparu beaucoup de camarades alsaciens, dont certains, dit-il, « sont enterrés nulle part… J’ai fait tous les cimetières, je n’ai pas retrouvé leurs noms ! »

    On le désigne ensuite pour être agent de liaison. Cette fois, a priori, ça ne ressemble pas à une chance : cette fonction consistant à aller, courbé ou rampant, d’une section à l’autre, à travers l’inconnu, est éminemment dangereuse. « Si j’avais peur de mourir ? Non ! Je me souviens m’être dit, durant de violents tirs de barrage, ‘‘On va crever’’ sans un battement de cœur… Et m’être dit ensuite : ‘‘Tiens, on est encore là !’’ » Même curieux sentiment de voir la mort arriver sans émotion apparente quand il s’est trouvé mis en joue par des Américains, devant une haie ; les GI’s n’ont pas tiré… « Mais nous n’étions pas des héros ! Nous étions juste abrutis par la guerre. Les héros, il y en a surtout au cinéma ! Là-bas, moi, je n’en ai pas vu… »

    La mort, il l’a encore frôlée à deux reprises au moins. Alors qu’il porte un brancard avec un autre SS, il se trouve soudain face à l’ennemi au sortir d’un bois. « Que faire ? J’ai dit : ‘‘On y va !’’ Et on a fait 30 ou 40 mètres à découvert… » Là encore, les Américains ne tirent pas. Le même type de scène se reproduit alors qu’il roule dans un blindé « avec un vétéran de Russie. Trois avions arrivent droit sur nous… Le vétéran est affolé. Mais moi, je me souviens d’un drapeau de la Croix Rouge qui traîne quelque part dans le véhicule. Je le cherche, je le prends, je monte sur le toit, je l’agite… Et ils nous épargnent ! »

    Fossoyeur pour les Américains

    René aurait eu des occasions de déserter (on peut aussi dire « s’évader ») dans le Sud-Ouest. « Je ne l’ai pas fait, parce que je ne voulais pas qu’il arrive quelque chose à ma famille. Elle avait déjà perdu un fils… » Pour fausser compagnie à la sienne, il attend la débandade finale. La bonne occasion se présente « vers la fin juillet. Dans la compagnie, nous n’étions plus très nombreux… On suivait le commandant, en rampant, l’un derrière l’autre. À un moment donné, je m’arrête… Du coup, les trois derrière moi s’arrêtent aussi. » René attend une dizaine de minutes, les suivants font de même. Après quoi, ils partent sur le côté, comme s’ils s’étaient perdus…

    Dans ces quatre faux « perdus » se trouvent deux autres Alsaciens : Charles Daul et Charles Roser. Ils se cachent dans le foin d’une ferme et se rendent aux Américains, qui les traitent en prisonniers. Avant d’être envoyés dans des camps en Angleterre, ils doivent creuser des tombes de l’actuel cimetière américain de Colleville-sur-Mer. « Elles devaient faire plus de deux mètres de profondeur. J’en ai creusé trois en trois jours… »

    En Angleterre, René peut rejoindre les Forces françaises libres le 25 septembre 1944. Mais il reste dans l’île, à s’occuper de mécanique auto. Il ne franchira de nouveau la Manche qu’en juillet 1945. Il entre dans Paris avec l’uniforme français. Quand on l’acclame, il est le seul à songer à ce fait curieux : il n’y a pas si longtemps, l’uniforme qu’il portait était celui des SS… « Je suis finalement rentré en Alsace le 29 juillet 1945. Une semaine avant mes 19 ans ! » Sa vraie vie pouvait commencer.

    Journal l'Alsace :

    INCORPORATION DE FORCE : Ils ont fourni des armes aux Polonais

    Deux incorporés de force alsaciens, qui se trouvaient en 1944 en Pologne, auraient rendu « de grands services à la Résistance polonaise ». Mais ils en ont rarement fait état. Le fils de l’un d’eux, André Fuchs, essaie de faire connaître cette histoire singulière qui témoigne de la diversité des parcours des Malgré-Nous.

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    Aujourd'hui 05:00 par Yolande Baldeweck , actualisé Hier à 22:48 Vu 160 fois

    « Mon père a dit un jour : “Si nous avions sauvé des juifs, nous serions reconnus comme des Justes. Là ce n’étaient que des Polonais.” » , rapporte André Fuchs. L’enseignant strasbourgeois a découvert tardivement que son père, Frédéric Fuchs, dit Fritz, et un autre incorporé de force, René Pierron, ont « fourni des armes et des renseignements à la Résistance polonaise ». Depuis plus de quinze ans, il essaie de faire (re) connaître ces actes d’héroïsme, qui auraient pu valoir le peloton d’exécution aux deux Alsaciens (lire ci-dessous). Seul Jacques Chirac a répondu, en 2005, à son courrier, saluant « le souvenir de ces hommes d’honneur et la loyauté des Alsaciens-Mosellans qui sont restés fidèles à leur patrie ».

    La veste en peaux de lapin de Stéphanie

    Retour aux années cinquante. Un soir, un homme frappe à la porte de la maison des Fuchs, à la Robertsau. « Mon père et lui se sont étreints. Je n’avais jamais vu pleurer mon père. Ils sont entrés dans la Stub et la conversation a duré des heures » , raconte André. Le petit garçon, alors âgé de 7 ans, va se coucher. Le lendemain, Fritz lui dit : « C’était le capitaine Freysz, je l’ai connu pendant la guerre. »

    Il y aura aussi un autre visiteur. « Un certain Monsieur Pierron. Papa l’appelait René. Ils ont fait la guerre ensemble » , se souviendra l’enfant. Il y avait aussi cette veste en peaux de lapin qui l’intriguait. Une veste « toute rapiécée, faite de peaux cousues les unes aux autres, avec des poils soyeux qui donnaient si chaud ». Lorsque Fritz la mettait, sa femme Frieda, épousée en 1942, lui lançait sur un drôle de ton : « Ah, tu mets la veste de Stéphanie ? » « Il n’y avait pas de Stéphanie dans notre famille » , avait constaté le garçon. Lorsque la famille s’installe dans une nouvelle maison, un peu plus loin, la veste de Stéphanie fait partie du déménagement…

    André la prenait parfois pour « jouer à la guerre » avec ses copains… Fritz, lui, parlait peu de sa guerre, à part l’une ou l’autre anecdote. Il avait expliqué à son fils unique le drame des Malgré-Nous, mais sans s’appesantir sur son propre parcours. Né en janvier 1915, il avait étudié au Gymnase Sturm jusqu’au bac, avant de reprendre le train de cultures à la demande de ses parents. Après la guerre, il devint fonctionnaire de la ville de Strasbourg et conseiller presbytéral à la Robertsau. Cet homme amène gardait toujours un certain quant-à-soi. Il se taisait lorsque son beau-frère parlait de « Russland… »

    À son décès en 1999, André Fuchs, professeur d’histoire au collège de La Wantzenau, retrouve sa Bible, avec une petite cocarde tricolore crochetée. « Mon père m’avait dit un jour : “Si je n’avais pas eu la foi, je n’en serai pas revenu” » , témoigne-t-il. Mais surtout, il hérite de ses papiers militaires, avec le certificat de bonne conduite, daté de 1937, du 402e Régiment de défense contre les aéronefs. Lorsque Fritz Fuchs est enrôlé de force dans l’armée allemande, le 3 décembre 1943, il est affecté à une unité de la DCA de la Luftwaffe, avec le grade de sergent.

    Chaque jour, il prend des notes – décès de deux de ses hommes, avions abattus, etc. – dans un petit agenda qui recouvre la période 1944-1945. Son fils, qui a récupéré des photos avec ses camarades, a reconstitué son itinéraire à travers le livret militaire. « En janvier 1944, on le retrouve en Pologne, le front change tous les jours », relève-t-il. Mais surtout, il découvre l’implication de Fritz et de René Pierron dans la résistance intérieure, non communiste. Rien n’est dit de la manière dont les deux hommes ont franchi le pas.

    L’attestation de Rose de Guskowska

    Le 28 avril, leur unité est à Wieliczka, dans le district de Cracovie. En mai 1944, René Pierron et Frédéric Fuchs entrent en contact avec l’ « Armia Krajowa » , à Sledziejowice, dans le domaine de Rose de Guskowska-Janicka. Membre de la noblesse polonaise, elle lutte avec ses trois enfants, depuis 1941, contre l’occupant. Dans un rapport rédigé le 12 mai 1948, alors qu’elle est exilée à Everleigh, en Angleterre, elle revient sur le parcours des deux Alsaciens. Ils lui avaient laissé leurs adresses. Une révélation pour André Fuchs. « M. Pierron et son ami (Frédéric Fuchs) ont acquis notre confiance par leur haine des Allemands, leur grand patriotisme français, ainsi que des documents signés par des Polonais auxquels ils sont venus en aide » , témoigne Rose. Les deux Malgré-Nous ont procuré à son groupe « des armes et des munitions très précieuses ». Mais surtout, René Pierron la prévient que « les Allemands étaient au courant du projet polonais d’insurrection nationale et avaient pris des dispositions pour mater le soulèvement ». « Prévenu, notre commandement a pu changer la date du soulèvement et éviter des pertes considérables pour notre armée et notre population civile » , souligne la résistante.

    Elle raconte qu’elle avait proposé à René Pierron de déserter. « Étant classé comme politiquement non fiable depuis son emprisonnement, il savait que ses parents seraient déportés » , écrit-elle encore. Et de préciser : « Après la Libération de l’Alsace, son évasion était prévue le 14 janvier 1945. Mais son plan fut déjoué par l’offensive prématurée de l’armée allemande… » Les deux Alsaciens, qui avaient quitté le secteur, connaissaient l’avancée des alliés à l’ouest. Le 24 novembre 1944, Fritz note « Tête de pont américaine sur Strasbourg » dans son agenda. Le 26 décembre, il évoque aussi « des lettres de Mme Guskowska, de Carolina et de Stéphanie ». Le 12 janvier, c’est effectivement l’offensive générale russe.

    La 17e Armée allemande fait face aux 59e et 69e divisions de l’Armée rouge (*). Avec 2 millions d’hommes, les Russes, partis de la Vistule pour aboutir à l’Oder, étaient presque quatre fois plus nombreux que les Allemands. L’hiver est glacial. Le 20 janvier, l’unité de Fuchs refuse d’attaquer de front les troupes russes. Un officier SS met les hommes en joue avec son arme. L’un d’eux le fauche d’une rafale de MP 40, avec ce commentaire sarcastique : « Mort au champ d’honneur… »

    « Je suis le fils du Dr Freysz »

    Le lendemain 21 janvier, jour de la libération de Cracovie par les Russes, un obus explose à 13 h 30 au-dessus de la batterie. Grièvement blessé à la jambe, Frédéric Fuchs va traîner – alors que l’armée allemande est en déroute – de longs mois d’infirmeries en hôpitaux de campagne. Il finit par être rapatrié à Polenz, en Saxe. Le 9 mai, il apprend la capitulation de l’armée allemande. Et deux jours plus tard, les Américains investissent les lieux.

    Un capitaine apostrophe Fritz Fuchs : « Sie sind Deutscher ! » L’Alsacien se défend âprement : « Je suis Français. » Lorsqu’à bout de nerfs, il lâche un juron en alsacien, l’Américain change de ton : « Tu es le Fuchs du Fuchs-am-Buckel ! Je suis le fils du Dr Freysz de la Robertsau… » Une rencontre improbable comme on n’en voit qu’au cinéma ! L’officier prend les choses en main. Le « prisonnier » – dont la fiche porte la mention « soldat français » – est pris en charge par la 1stHospital Unit qui accompagnait la 1re Armée américaine. Rapatrié le 25 mai par avion sanitaire de Merseburg à Mourmelon, l’Alsacien arrive le 1er juin à Paris et prend le lendemain soir le train pour Strasbourg. « Quand on sait les souffrances endurées par les prisonniers dans les camps russes comme Tambov, et le temps mis pour rentrer en France, cela tient du miracle », observe André Fuchs. On aimerait en savoir plus sur les personnages cités dans ce récit. Originaire du nord de l’Alsace, René Pierron, traducteur au Conseil de l’Europe après sa création en 1949, est décédé dans un accident de voiture. Pourquoi avait-il été emprisonné par les Allemands ?

    Que sont-ils devenus ?

    Nulle trace dans les ouvrages historiques du capitaine Freysz. Comment s’est-il engagé dans l’armée américaine ? Ses parents étaient restés en Dordogne après l’évacuation, pour ne rentrer à Strasbourg qu’à la Libération. Une rue de la Robertsau porte le nom du Dr Maurice Freysz, ancien conseiller d’arrondissement, décédé en 1958. Il avait deux fils, Robert et Pierre, nés en 1896 et en 1897, décédés l’un à Rouen, l’autre à Dolus d’Oléron, loin de l’Alsace. Quant à Rose de Guskowska, a-t-elle vécu la chute du Mur ? Sans oublier la jolie Stéphanie qui avait offert sa veste à Fritz…

    (*) L’historienne Lise Pommois rappelle aussi que le camp d’Auschwitz, situé près de Cracovie, a été libéré le 27 janvier par la 322e division russe.

     

    L'Alsace du 13 août 

    « Qu’est-ce qu’on va dire de nous ? »

    Le 25 août marquera le 75e anniversaire du décret signé par le Gauleiter Wagner, instaurant l’incorporation de force en Alsace. D’autres territoires européens ont été concernés, rappelle l’historien Frédéric Stroh, qui s’interroge sur la transmission de cette « mémoire plurielle ».

    Le III e Reich s’est agrandi à partir de 1933, avec des territoires sous statuts différents. Ont été enrôlés entre 295 000 et 750 000 Polonais, 127 500 Alsaciens-Mosellans, 39 000 Slovènes, 9 100 Luxembourgeois et 8 000 Belges. DR/Frédéric Stroh« Soixante-quinze ans après les décrets d’août 1942, qui va porter le souvenir de l’incorporation de force, alors que les associations voient leurs adhérents disparaître et que l’Alsace a perdu son entité politique ? Les derniers incorporés de force encore en vie sont inquiets et se demandent : Qu’est-ce qu’on va penser de nous ? » résume Frédéric Stroh, 34 ans, doctorant en histoire contemporaine à l’université de Strasbourg et au centre Marc-Bloch de Berlin. Avec un universitaire allemand, Peter Quadflieg, il publie les actes du colloque, organisé en 2012 à Strasbourg, sur l’incorporation de force en Europe.

    Frédéric Stroh, doctorant en histoire contemporaine.   Photo  L’Alsace/ D. Gutekunst

    Une histoire commune mais plurielle

    Car l’Allemagne nazie a imposé le service militaire obligatoire, de manière illégale, à au moins 500 000 étrangers. Il s’agit, par ordre décroissant, de Polonais, Français d’Alsace et de Moselle, Slovènes, Luxembourgeois, Belges d’Eupen et de Malmedy, Croates. « Une histoire commune, mais plurielle » , souligne-t-il, en notant qu’elle a peu intéressé les historiens allemands, si ce n’est à travers les condamnations prononcées à Torgau.

    Frédéric Stroh – qui termine une thèse sur la répression judiciaire des homosexuels en Alsace et au Pays de Bade – note « une exacerbation des conflits mémoriels ». « Après l’indemnisation par l’Allemagne, puis la reconnaissance par Nicolas Sarkozy, il y a une nouvelle revendication de reconnaiss-ance » , analyse-t-il. Depuis l’indemni-sation des orphelins juifs par l’État français, dans les années 2000, des associations demandent que l’incorporation de force soit reconnue comme un crime contre l’humanité par l’État français.

    « Cette demande ne rentre pas dans la définition juridique. L’incorporation de force est assurément un crime de guerre, qui contrevenait à la Convention de La Haye de 1907, mais pas un crime contre l’humanité », affirme-t-il. Ses arguments ? « Il n’était pas question de persécuter une race jugée inférieure. Il n’y a pas eu de plan à l’échelle européenne, dans un but de déportation ou d’extermination comme pour les juifs. » D’ailleurs, « la plupart des incorporés de force ont été traités de la même manière que les autres soldats allemands ».

    Contre le négationnisme

    Il rappelle aussi que « dès le lendemain de la guerre, les procureurs français ont plaidé devant le Tribunal international de Nuremberg que l’incorporation de force serait un crime contre la condition humaine. Mais le Tribunal de Nuremberg n’a pas parlé de l’incorporation de force dans son jugement » , assure-t-il, regrettant que « cette nouvelle revendication, en dépit de tous les progrès obtenus dans la reconnaissance, continue à alimenter un discours victimaire et revendicatif ». Selon l’historien, « c’est une sorte de fuite en avant qui ne fait qu’entretenir la souffrance collective… »

    Pour autant, il lui semble « indispensable de lutter contre le négationnisme qui voudrait faire des incorporés de force des volontaires » . Il insiste sur « la reconnaissance morale de l’incorporation de force par l’État allemand, qui se pose assurément encore ». Quel chef d’État français interpellera la chancelière ?

    Cependant, et cela renvoie au débat sur le Mur des noms que la région va édifier au Mémorial à Schirmeck, Frédéric Stroh estime que « la demande de reconnaissance ne suppose pas d’amalgamer toutes les victimes ». « Ce n’est pas faire justice à la vérité historique. Tous les incorporés de force n’étaient pas des Malgré-Nous » , constate-t-il, en poursuivant : « Chacun s’est positionné en fonction du contexte familial ou régional dans lequel il a évolué… » Cela pose aussi la question de leur comportement au front et celle de leur éventuelle participation à des crimes de guerre, sujets qui n’ont jamais été documentés.

    Collecte d’archives privées

    L’universitaire s’étonne des débats autour de la désertion. « Il y a ceux qui se sont cachés et ceux qui ont rejoint le maquis après les décrets de 1942. Pour les historiens, résister c’est agir par les armes » , appuie-t-il. Sans minimiser la répression visant les jeunes qui se sont dérobés à la Wehrmacht et leurs familles, il considère que « les oppositions ont aussi parfois permis de limiter l’ampleur des recrutements ». Ce fut le cas de la grève générale au Luxembourg… « De même, le refus de certains officiers de réserve alsaciens d’être incorporés a empêché que tous soient recrutés » , relève-t-il. Ils l’ont cependant payé par la déportation au camp de Neuengamme.

    « Quel sens peut-on donner aujourd’hui au souvenir de l’incorporation de force ? » , interroge encore Frédéric Stroh qui défend l’idée d’ « une prise en compte de la diversité des parcours passés » , portée par le Grand Est, la France et l’Allemagne, et même l’Europe. Il préconise d’en faire « un objet d’histoire, en lançant une collecte d’archives privées, comme cela a été fait pour la Première Guerre mondiale ». Pour lui, ces documents – il pense aux carnets des Malgré-Nous ou aux livres écrits pour les familles – doivent être numérisés pour servir à des recherches scientifiques. À l’entendre, il est faux de dire que les doctorants ne s’intéressent pas à l’histoire de l’Alsace. « Qu’on leur propose des bourses… »

    MUR DES NOMS : L’important, c’est d’interroger l’histoire

    6 mai 2017

    Professeur émérite de l’université de Strasbourg, le sociologue Freddy Raphaël revient sur le projet de Mur des noms à Schirmeck. Mais il insiste sur la création d’« un centre de recherches et de transmission pédagogique ». Un point qui tient également à cœur au grand rabbin René Gutman.

    Le Mur des noms au Mémorial de la Shoah, à Paris. Une « trace » des 76 000 victimes juives françaises. À l’intérieur, on accède aux fiches de chaque victime.Photo  L’Alsace/ Yolande Baldeweck

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    Depuis cinquante ans, le sociologue Freddy Raphaël scrute la mémoire plurielle de l’Alsace. Sans complaisance, mais avec bienveillance. La polémique autour du Mur des noms, à Schirmeck, avec toutes les victimes alsaciennes et mosellanes de la Seconde Guerre mondiale, ne l’a pas surpris. « En Alsace, plus que dans d’autres régions, il reste des cicatrices très vives dues à des douleurs et à des expériences contrastées, voire opposées, pendant la Seconde Guerre mondiale » , rappelle-t-il. Il met en garde contre une idée reçue : « La mémoire n’accumule pas les souvenirs, elle reconstruit le passé en fonction des interrogations du présent. »

    Le projet de Mur des noms lui paraît pertinent. Évoquant celui du Mémorial de la Shoah, à Paris, il glisse : « C’est une trace des miens. » Mais il comprend l’émotion suscitée par une seule liste alphabétique, contestée par les déportés et résistants (lire L’Alsace du 3 avril dernier) et par la communauté juive. « Il faut, à la fois faire mémoire de l’ensemble des victimes alsaciennes, quelles qu’aient été leurs expériences. Mais il faut respecter la diversité des engagements voulus ou des expériences subies », souligne-t-il, en préconisant « un mur découpé en plusieurs sections qui prennent en compte les différents destins ».

    Il y aurait ainsi « une section pour les déportés raciaux et politiques, une section pour les résistants, une autre section pour les incorporés de force, à l’exception des volontaires ». « Un certain nombre de jeunes ont été versés, sans l’avoir voulu, dans la Waffen SS et ont dû participer à des actions où des garçons de 17 ans ont été privés de tout choix » , observe l’universitaire… qui n’oublie pas pour autant les victimes civiles.

    Se recueillir ne suffit pas, il faut un travail de réflexion

    Pour Freddy Raphaël, se recueillir ne suffit pas. Il plaide pour un projet plus ambitieux et qui ne se limite pas aux bornes informatiques permettant d’accéder aux fiches des victimes « Ce mur n’a de sens que s’il est accompagné d’un centre de recherches et de transmission pédagogique, sur le modèle de l’Historial de Péronne, dans la Somme, consacré à la Première Guerre mondiale » , affirme-t-il, en proposant de faire appel à des chercheurs de l’université et du CNRS, et à des pédagogues.

    Deux axes de réflexion s’imposent, selon lui, le passé entrant en résonance avec le présent. « Il faut étudier comment dans l’entre-deux-guerres, des mouvements ont pu se constituer, qui ont préparé la mainmise sur l’Alsace-Lorraine par le nazisme. Étudier le rôle des ligues nationales qui ont trouvé des relais agissants et des hommes de main qui prendront du poids dans l’Alsace annexée » , explique-t-il. Pour aujourd’hui, « des recherches doivent porter sur la maniè-re dont s’organisent en Alsace des organisations qui se réclament de formes contemporaines du racisme et du fascisme ».

    Lui qui a été « un enfant traqué pendant la guerre, qui doit sa vie à des gens de tous bords » , déplore le climat actuel. « On assiste à la banalisation de la xénophobie et au refus de la différence, au lieu de se sentir enrichi par la différence ». Le sociologue (qui continue, à 80 ans, de suivre des doctorants) tire la sonnette d’alarme. Il discerne « des éléments d’une idéologie comparable à celle de l’entre-deux-guerres en Alsace et en Lorraine, avec l’exploitation du malaise réel d’ordre économique et d’ordre culturel ». D’où « ce travail sur la mémoire qui permet de mieux appréhender ce qui est en train de se jouer ».

    « C’est une mémoire non cicatrisée », estime de son côté le grand rabbin René Gutman, à propos des débats autour du Mur des noms. L’ancien président du consistoire, Jean Kahn, décédé en 2013, était d’ailleurs « opposé à un mur qui mélange toutes les victimes ». Le grand rabbin de Colmar, lors d’une réunion, a cependant « justifié un mur commun par l’annexion de l’Alsace-Moselle, ce qui faisait de tous les habitants des victimes » , explique René Gutman, en précisant que « cet argument a été repris par le président de la région Philippe Richert » qui porte le projet.

    Un mur, trois murs… ou un mur sans noms ?

    « Il s’est heurté cependant aux anciens résistants et aux familles de déportés. Ces dernières ne peuvent accepter que leurs morts soient associés aux enrôlés de force, et encore moins aux Waffen SS qui, bien qu’enrôlés de force, ont pu participer à des massacres » , analyse le grand rabbin Gutman. Cela était perceptible, le 23 avril dernier, lorsque les noms des victimes alsaciennes de la Shoah ont été lus place Broglie…

    « Faut-il un mur, trois murs… ou un mur sans noms ? L’essentiel n’est pas dans le monument, mais dans l’apport pé dago gique, la manière dont l’his toire sera transmise aux générations futures » , appuie René Gutman. Il regrette que « ce travail pédagogique qui existe, ait été pensé comme annexe, alors qu’il est plus important que le mur lui-même ». Mais il faudrait aller plus loin, suggère-t-il, pour que « chaque personne soit identifiée par son histoire, son destin… »

    Il lui semble dommage que « les Malgré-Nous ne se soient pas plus exprimé sur les combats auxquels ils ont participé ». Sur la manière dont les populations – et en particulier les juifs – ont réagi. « Ils auraient pu nous dire des choses qu’eux seuls savent », suggère sans acrimonie René Gutman. Car pour lui, « Les Malgré-Nous ont droit à leur mémorial ».

    Des plaques différenciées

    « On ne peut pas mélanger les noms, quels que soient les drames des uns et des autres », juge aussi Pierre Lévy, délégué régional du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France) Alsace, qui déplore que « les fils et filles de déportés, pas plus que les résistants, n’aient pas été consultés pour ce Mur des noms ». Pour lui, « il faut des plaques différenciées, ou alors uniquement des plaques pour les incorporés de force ». Les déportés juifs – à l’instar de son père – sont répertoriés sur le Mur du Mémorial de la Shoah. Y retrouver un nom est émouvant. Mais découvrir, sur la base de données, la photographie de la personne permet de s’approprier le drame des 76 000 victimes françaises, assassinées par les nazis. Il y a là un exemple pour le Mémorial de Schirmeck.

    MUR DES NOMS : Non à la confusion des victimes

    Lien vers le journal l'Alsace

    Le Mur des noms, projeté par le conseil régional dans la montée du Mémorial d’Alsace-Moselle, continue de susciter des réactions. Plusieurs proposent une alternative au projet actuel.

    Le 09/04/2017 05:00 par Yolande Baldeweck , actualisé le 08/04/2017 à 23:08 Vu 689 fois

    La presse suite

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    Nous redisons non à un Mur des noms qui comporterait par ordre alphabétique le nom de soi-disant toutes les victimes civiles et militaires de la Deuxième Guerre mondiale. C’est un non catégorique » , martèle François Amoudruz, ancien résistant-déporté, vice-président de la Fondation pour la mémoire de la déportation. Écarté des débats récents, il se souvient d’avoir « entendu parler, des années en arrière, d’un projet dédié strictement aux incorporés de force dans la Wehrmacht et les Waffen SS ».

    La même histoire

    François Amoudruz a découvert l’existence d’une commission scientifique dans la tribune de Philippe Breton dans les DNA. « Le projet avait pris une autre tournure, avec la volonté d’élargir le cercle » , s’étonne-t-il, surpris que « le président de la région ait déclaré que toutes les associations mémorielles et du monde combattant ont donné leur accord ». « C’est faux, nous n’avons pas été consultées » , appuient Marie José Masconi et Arlette Hasselbach, présidentes pour le Bas-Rhin et pour le Haut-Rhin des amis de la Fondation de la mémoire de la déportation. Depuis, toutes deux ont rencontré Pascal Mangin, président de la commission culture.

    « Le mur ne peut recenser que des personnes qui ont eu la même histoire » , soutient Marie José Masconi qui, avec Arlette Hasselbach, assure un rôle pédagogique auprès des jeunes. « Plutôt que la déploration des victimes, nous proposons une introduction sur les spécificités des trois départements [les deux alsaciens et la Moselle, NDLR] et la liste des incorporés de force dans la Wehrmacht et les Waffen SS, morts pour la France » , précise Arlette Hasselbach. Elles laissent « la porte ouverte à une plaque citant les autres catégories… »

    Noms par catégorie ?

    « Mais on ne peut pas travestir l’Histoire en transférant les incorporés de force dans la Waffen SS à la Wehrmacht » , s’insurge François Amoudruz. Son épouse, Liliane, d’origine juive, ne comprend pas non plus que « des rabbins aient donné leur accord à une liste alphabétique… » « Il avait été décidé que les noms seront regroupés par catégorie. Nous mainte nons cette demande » , écrit, de son côté, Marie-Noèl Diener-Hatt, présidente du Comité pour la mémoire de la brigade Alsace-Lorraine. Cette docteure en histoire insiste sur « le devoir de nommer précisément les acteurs et les drames, démêler l’entrelacs des implications individuelles et collectives ». « Si on renonce à ce classement, nous demandons que ce mur ne présente que la spécificité des trois départements annexée qui est l’incorporation de force dans l’armée nazie » , prévient Marie-Noèl Diener-Hatt. En revanche, « le pupitre numérique devra comporter les noms des résistants alsaciens et mosellans ».

    « Une telle liste sera épluchée et contestée. Certaines déclarations de morts pour la France sont intervenues de manière tardive » , craint Bernard Rodenstein, ancien président de l’Association des orphelins de guerre d’Alsace. Il y a quatre ans, il avait fait part de son opposition au Mur des noms, préconisant « une œuvre d’artiste symbolisant ce crime de guerre, devant laquelle les familles pourraient se recueillir… »

    Pour sa part, le professeur Philippe Breton fait observer qu’il n’a « jamais affirmé, ni écrit que les Alsaciens furent volontaires pour les pelotons d’exécution à Oradour » , comme le laisse entendre Gérard Michel, président des Orphelins de pères Malgré-nous ( L’Alsace du 2 avril). Et d’expliquer : « Parce qu’on n’en sait rien. Et cela justifie une très grande prudence dans l’approche d’un tel projet… » La balle est dans le camp des politiques.

    Ces familles déportées par les nazis

    lien vers le journal
    On a souvent évoqué, à juste titre, les parcours des Malgré-Nous, prisonniers, réfractaires et autres libérateurs. Mais on a moins parlé d’autres victimes alsaciennes de la guerre : les familles déportées parce que l’un des leurs avait fui l’Alsace nazie. En cette Journée du souvenir de la déportation, quatre Sundgauviens se souviennent de la leur.

    Textes : Hervé de Chalendar Photos : Thierry Gachon


    De gauche à droite, devant la maison de Jacqueline Schneider, à Oltingue : Théo Gesser, Georges Sengelin, Albert Sengelin et Pierre Mattler. Lors de la déportation, ils avaient entre 10 et 16 ans. Pierre a tenu à porter son béret car, dit-il, « pendant la guerre, j’ai eu droit à une amende de 5 marks parce que je l’avais mis ! ».Photo L’Alsace
    De gauche à droite, devant la maison de Jacqueline Schneider, à Oltingue : Théo Gesser, Georges Sengelin, Albert Sengelin et Pierre Mattler. Lors de la déportation, ils avaient entre 10 et 16 ans. Pierre a tenu à porter son béret car, dit-il, « pendant la guerre, j’ai eu droit à une amende de 5 marks parce que je l’avais mis ! ».Photo L’Alsace

    23 février 1943, 3 h du matin, à Roppentzwiller, près de Vieux-Ferrette. La famille de Théo Gesser est réveillée par des crosses de fusils tambourinant contre les portes et les volets. « Je n’avais pas encore 11 ans , raconte Théo, qui en a présent 83. Je ne comprenais pas tout, mais mes parents, eux, s’y attendaient. On a eu trente minutes pour préparer nos bagages. 71 personnes du village ont été déportées ce même jour. Nous, nous étions six : les parents et quatre enfants. Un voisin m’a souvent dit, après-guerre, quand il me croisait : “J’entends encore ta mère pleurer le jour où ils vous ont cherché…” »

    « J’entends encore ta mère pleurer… »
    La famille Gesser « payait » ainsi le départ de trois de ses fils pour la Suisse quelques jours plus tôt. Ces jeunes gens préféraient combattre du côté allié que du côté nazi (deux d’entre eux ont réussi à intégrer la 1re Armée française). Les nazis exerçaient alors les représailles sur les familles conformément à ce qu’avait clairement annoncé le Gauleiter Wagner (lire ci-contre).

    Trois jours plus tard, le 26 février 1943, c’est le village de Durlinsdorf qui est touché, où 36 personnes sont arrêtées. Dont Pierre Mattler, âgé de 10 ans lui aussi, sa sœur de 12 ans, son frère de 13 ans et sa sœur de 17 ans. Deux de leurs frères avaient franchi la frontière. « On a été déportés tous les quatre, sans nos parents : c’est ma sœur aînée, Lucie, qui a veillé sur nous , précise Pierre. Mon père était décédé en 1939 et maman souffrait d’une pleurésie : ma sœur Jeanne a obtenu qu’elle reste au village avec elle. Mais ensuite, les deux ont été envoyées au camp de Schirmeck. Pendant le restant de sa vie, maman a toujours tremblé quand elle voyait un uniforme… »

    Ces scènes se sont succédé dans le Sundgau, village après village. Le 1er mars 1943, ce sont une trentaine de familles de Hirsingue qui sont arrachées de nuit à leurs maisons. Georges Sengelin – né en 1930, un frère réfractaire – et Albert Sengelin – né en 1927, trois frères réfractaires –, qui portent le même patronyme mais sont de foyers différents, peuvent cette fois en témoigner. « C’était aussi vers 3 h , raconte Albert. On devait être prêts en une heure et n’emporter que 20 kg de bagages. Je me souviens d’un soldat qui a dit qu’il préférerait être au front plutôt que de faire ce boulot-là… » « Quand on voyait l’état mental de ses parents… , ajoute Georges. Ce sont des moments inoubliables. » Albert a été déporté avec son père, « un petit paysan qui possédait trois vaches et deux bœufs, et avait fait partie de la garde impériale de Guillaume II en 14-18 ». Georges est parti avec ses parents et sa sœur. « Mais il y avait aussi une tante et sa fille à la maison, et les Allemands voulaient les embarquer elles aussi ! Heureusement, elles ont finalement pu rester… »

    Ces familles ont d’abord été convoyées à l’institut Sonnenberg de Carspach ou à la Halle-aux-Blés d’Altkirch. « On a dormi deux nuits sur la paille, à Carspach, avant d’être mis dans un train » , se souvient Georges. C’était alors le voyage vers un inconnu forcément sombre. Il paraît que, parfois, dans les wagons, s’élevait une Marseillaise.

    Au terminus, à l’Est, il y avait des camps : Schelklingen, Siessen, Riesa, Grosshennersdorf… Souvent, les familles étaient trimballées de l’un à l’autre. Celle de Théo en a connu trois. « Nous étions une trentaine dans une seule chambre , raconte Georges. Dans cette chambre, il y eut une naissance et un décès. Ça marque, à cet âge… » Mais sa famille a eu de la chance : en octobre 1943, elle a obtenu le droit d’aller loger chez une tante, à Offenbourg. « On était serrés, mais on était chez soi… » , commente Georges.

    En déportation, à partir de 14 ans, tout le monde devait travailler. « Moi, j’ai travaillé sur le chantier de construction d’une usine, près de la frontière tchèque , raconte Albert. On a souffert, et parfois de la faim, mais les conditions n’étaient pas si dures qu’en camp de concentration. »

    « Mon frère avait deux ans de plus, et il a travaillé chez un menuisier , précise Théo. Mon père, qui était tisserand de métier, a dû faire bûcheron. Moi, je suis allé à l’école du village, avec les enfants allemands… » Même si Georges a réussi à devenir par la suite instituteur et secrétaire de mairie, « notre scolarité a été fichue , remarque Théo. Ce fut un handicap pour toute notre vie. »

    Les maisons dévastées
    Le retour en Alsace n’a pas pu se faire avant le printemps 1945. Et pour trouver quoi ? Des maisons pillées et des regards fuyants. « Un pont avait sauté pas loin de la maison , raconte Théo. Il y avait du gravier dans la salle à manger, de la paille dans les chambres. Tout était vidé, à moitié démoli… » « Mes parents étaient restaurateurs , poursuit Georges. L’endroit avait été occupé par une famille allemande. À notre retour, il n’y avait plus un meuble, plus un verre. L’État ne s’est pas occupé de nous, alors que l’on avait juste accompli notre devoir patriotique… »

    Après-guerre, il est arrivé que les déportés reconnaissent une table chez un voisin… Mais longtemps, comme pour tous ces traumatismes de guerre, on a préféré oublier tout ça. Sans y parvenir, évidemment. Ces personnes ont été brisées, moralement et physiquement. Encore aujourd’hui, Georges s’interroge : « Je me demande comment mes parents ont pu supporter tout ça… »

    RÉSISTANCE

    Sur la trace des « Wodli » mulhousiens (janvier 2016)

    Lien vers le journal l'Alsace


    Le réseau ouvrier de Résistance animé lors de la Seconde Guerre par le Strasbourgeois Georges Wodli avait essaimé dans le Haut-Rhin. Sur Mulhouse, un groupe, qui aurait projeté un attentat contre la Gestapo, se réunissait autour de Viktor Kunz. Son arrière-petite-fille, la cinéaste allemande Carmen Eckhardt, vient de lui consacrer un film-documentaire.

    Aujourd'hui 05:00 par Textes : Hervé de Chalendar , actualisé Hier à 22:00 Vu 355 fois
    Gilbert Weiss tenant une photo de son père Armand, résistant mulhousien, membre du groupe de Viktor Kunz. Il est entouré par deux personnes qui effectuent des recherches sur le parcours de ces résistants : l’Alsacien Jean-Paul Bruckert (à gauche) et l’Allemand Hans-Peter Goergens. Photo L’Alsace/

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    Gilbert Weiss tenant une photo de son père Armand, résistant mulhousien, membre du groupe de Viktor Kunz. Il est entouré par deux personnes qui effectuent des recherches sur le parcours de ces résistants : l’Alsacien Jean-Paul Bruckert (à gauche) et l’Allemand Hans-Peter Goergens. Photo L’Alsace/

    Il y a six mois, le passé de son père a fait irruption dans la vie de Gilbert Weiss. C’était le 28 juillet 2015, en parcourant L’Alsace , comme chaque matin. « J’ai vu un article sur la Résistance : le sujet m’intéresse, alors j’ai commencé à lire… » L’article est signé par notre confrère Michel Schwindenhammer. Il évoque le « funeste destin » de Viktor Kunz. L’homme dirigeait un groupe de résistants mulhousiens ; il a été exécuté par les nazis en août 1943 et son arrière-petite-fille, la cinéaste allemande Carmen Eckhardt, vient de lui consacrer un film documentaire. Dans cet article sont mentionnés les noms de six camarades de Kunz, également arrêtés et emprisonnés (mais pas condamnés à mort) par la Gestapo : Flora Trefzer, Joseph Rudler, Eugène Klinger, Charles Scheer, Albert Bingler et Armand Weiss. Il est mentionné que ce dernier est né le 20 juin 1909 à Mulhouse ; pas de doute, il s’agit bien du père de Gilbert.

    Infiltrés par la Gestapo
    « Il est mort quand j’avais deux ans : je suis né en octobre 1946 et il est décédé en décembre 1948 » , précise Gilbert, ancien chef de service aux Mines de Potasse, dans sa maison de la cité Rossalmend, à Staffelfelden. Des certificats médicaux ont alors estimé que ce décès était consécutif à des coups à la tête reçus lors de son internement en Allemagne. Pupille de la Nation, Gilbert a retrouvé dans les archives familiales des déclarations sur l’honneur signées en 1949 par les camarades résistants de son père. Elles avaient levé une partie du voile sur son activité secrète et sur celle de son réseau dans les années 42 et 43. Avec la réalisation du film allemand, ce voile se soulève un peu plus encore, plus de 70 ans plus tard.

    Gilbert est entré en contact avec Jean-Paul Bruckert, cité dans l’article. Cet habitant de Vieux-Thann de 86 ans s’intéresse de près à l’histoire de la Résistance : son beau-père, Robert Foehrenbacher, faisait partie du maquis de la Walkapelle et fut l’un des onze résistants exécutés par les nazis à Rammersweier (près d’Offenbourg, en Allemagne) le 6 décembre 1944 ( L’Alsace du 28 septembre 2014). Jean-Paul Bruckert est lui-même en relation avec un habitant de Rammersweier, Hans-Peter Goergens, syndicaliste retraité de la métallurgie (IG Metall), qui a entrepris d’aider Carmen Eckhardt dans ses recherches. Et jeudi, Jean-Paul et Hans-Peter étaient chez Gilbert, dans le Bassin potassique, pour échanger documents et informations.

    Si le syndicaliste allemand se passionne pour ces résistants alsaciens, c’est parce qu’ils étaient eux aussi dans un mouvement ouvrier : le groupe de Viktor Kunz était une des émanations haut-rhinoises du réseau de Georges Wodli (1900-1943), grande figure de la Résistance ouvrière au nazisme en Alsace. Ajusteur aux ateliers ferroviaires de Bischheim, syndicaliste et militant communiste, Wodli est mort sous les tortures de la Gestapo le 2 avril 1943 à Strasbourg.

    Le voile qui se découvre sur ces « Wodli » du Haut-Rhin laisse encore dans l’ombre quelques pans de leur histoire, en particulier concernant l’action la plus spectaculaire qu’on leur prête : un projet d’attentat contre la Gestapo à Mulhouse. Leurs autres activités consistaient à collecter des vêtements civils pour les prisonniers de guerre et de l’argent pour soutenir les familles, organiser des sabotages, dérober du matériel dans une usine d’armement, etc. Armand Weiss (qui fut ébéniste et cheminot) aurait aussi servi de passeur vers Rougemont-le-Château et continué son activité résistante lors de son internement en Allemagne.

    Le groupe est tombé parce qu’il a été infiltré par des agents de la Gestapo. Six des sept membres (Bingler a été interpellé le lendemain) ont été arrêtés le 13 septembre 1942 lors d’une réunion dans un restaurant de Bruebach. Le restaurateur, René Ehrard, a été envoyé au camp de Schirmeck.

    Diffusion en mars
    Le film de Carmen Eckhardt dure 95 minutes et s’intitule Viktors Kopf (La tête de Victor). Ce n’est pas un documentaire uniquement historique : il raconte d’abord l’enquête, et la quête, de la réalisatrice sur les traces de cet énigmatique Viktor Kunz (voir ci-dessous), qui était le père d’une de ses grands-mères. Ce film doit être diffusé à partir de ce mois de mars dans des cinémas, écoles et lieux de mémoire. Hans-Peter Georgens a pu voir le voir en avant-première à Cologne le 2 décembre dernier. Il formule aujourd’hui un vœu : que la carrière de ce film passe par l’Alsace, et en particulier par Mulhouse.

    EN SAVOIR PLUS Le site du film : www.viktorskopf.de

    CONTACTER Jean-Paul Bruckert, à Vieux-Thann, au 03.89.37.83.91

     

    http://www.lalsace.fr/haut-rhin/2015/10/13/parque-comme-du-betail-par-les-americains?utm_source=direct&utm_medium=newsletter&utm_campaign=en-alsace

    IL Y A 70 ANS
    Parqué comme du bétail par les Américains
    Il y a 70 ans, le Reich allemand avait capitulé depuis cinq mois, mais ce n’était pas encore la fin des souffrances pour tous. Incorporé de force dans les Waffen SS, André Haas, de Muespach, se trouvait alors dans un camp de prisonniers tenu par les Américains. Parce qu’il était SS malgré lui, il devait dormir dehors, dans un trou qu’il s’était creusé.

     

    André Haas est de la classe alsacienne maudite : celle de 1926. Celle qui, souvent, s’est retrouvée incorporée de force dans la Waffen SS. Quand il est parti malgré lui sous cet uniforme terrible, il n’avait que 17 ans. Il en a 89 depuis vendredi et il vit toujours, avec son épouse Marie-Louise, dans la maison paternelle de Muespach. André a subi une attaque cérébrale à l’automne 2010. Il n’est plus en mesure d’évoquer ses souvenirs de guerre, mais le traumatisme demeure : il lui arrive de citer le nom d’Adolf Hitler devant les aides-soignantes…

    Heureusement, cet homme qui a mené la carrière paisible d’un employé de bureau dans une société de transports, à Saint-Louis, avait couché par écrit, sur une dizaine de pages manuscrites, un résumé de son parcours durant la Seconde Guerre. Et, surtout, deux mois avant son attaque, sa nièce et filleule, Marie-Line Allen, avait procédé à une interview filmée dans le cadre d’un projet scolaire en Californie, où elle enseigne le français (lire ci-dessous). Dans cet entretien d’une heure, sautant souvent du français au dialecte, André raconte cette période comme il ne l’avait sans doute jamais fait. Avec franchise, pudeur et émotion. « Je crois qu’avec l’âge, il avait besoin de parler et, d’une certaine manière, de se faire pardonner » , confie aujourd’hui sa filleule. Car même quand on n’y est pour rien, il est parfois difficile d’échapper au sentiment de culpabilité…

    « 30 kilos 400… »
    Nous reprenons aujourd’hui des extraits de ces témoignages d’André, issus de ces deux sources : son texte manuscrit et la vidéo de Marie-Line. Subjectifs, certes, mais d’abord sensibles, tous les souvenirs de ces témoins de l’horreur doivent être écoutés. Ceux d’André ont l’intérêt supplémentaire d’aborder des aspects peu évoqués, comme le fait d’avoir été témoin de massacres (lire ci-contre) et le sort réservé aux Malgré-Nous SS à la toute fin de la guerre. Car il y a tout juste 70 ans, si l’Allemagne nazie avait capitulé depuis cinq mois, André et certains de ses camarades étaient encore loin d’être au bout de leurs peines.

    « À partir du 1er octobre 1945 , témoigne ainsi André, j’ai eu le contact, le triste contact, avec les Américains… Je me suis retrouvé dans un camp à Heilbronn, dans le Bade-Wurtemberg. C’était un camp analogue au Struthof. Nous étions 30 000 soldats enfermés là-dedans, dont 800 SS. Mais alors que les prisonniers issus de la Wehrmacht étaient logés dans des baraques, ceux de la Waffen SS devaient dormir dehors : nous étions comme du bétail… Pour nous protéger, on avait juste une pelle pour creuser un trou, deux couvertures et une bâche. Ça a duré comme ça tout le mois d’octobre. Heureusement, le temps était clément et presque sans pluie… La nourriture ? C’était ce qu’on donne aux cochons, on ne peut pas dire autrement ! Deux ou trois cuillères d’un mélange de betteraves, de pommes de terre crues, de pain… Juste assez pour faire revenir la souffrance de la faim. Les Américains voulaient punir les SS ! Pour eux, c’étaient les plus grands des meurtriers. Ils n’imaginaient pas qu’il pouvait y avoir dans le lot des incorporés de force alsaciens et lorrains, là contre leur gré… »

    À compter du 1er novembre 1945, André s’est retrouvé dans un autre camp, à Darmstadt, dans des conditions plus décentes : « On dormait dans des tentes de 16 hommes. La Croix-Rouge est passée à la mi-novembre pour nous faire remplir des formulaires, afin de prévenir nos familles. Mais, quand il s’agissait des SS, les Américains ont retardé l’envoi de ces courriers… Finalement, on a pu être libérés en février grâce à une délégation militaire française, qui a expliqué notre cas aux Américains. »

    Ce n’est donc qu’en février 1946, soit neuf mois après la victoire alliée du 8 mai 1945, qu’André a pu rentrer en Alsace. « Au Wacken, à Strasbourg, on nous a donné des vêtements civils et on a été examinés par des docteurs. J’ai été pesé trois fois, et, je ne le croyais pas, mais ça a été confirmé trois fois : je pesais 30 kilos et 400 grammes. J’avais 19 ans et demi… Je suis revenu dans mon village le 3 février, un dimanche, le jour de la fête patronale, la Saint-Blaise ! Personne ne savait que j’étais vivant et je suis apparu… Pendant longtemps, je n’ai pas pu manger normalement : je devais manger très peu, sinon j’aurais pu mourir… »

    « Mourir une fois, ou survivre tous les jours »
    A-t-il alors raconté facilement ce qu’il venait de vivre ? « J’ai dit des choses avec le temps… Mais il est impossible de comprendre à quel point c’était horrible quand on ne l’a pas vécu corps et âme ! Avoir vu tous ces morts, être toujours dans l’angoisse du jour d’après, toujours entre la vie et la mort… Dans la guerre, on sait à l’avance qu’on va vers le malheur ! Des fois, on ne réalisait qu’au matin qu’on avait dormi sur des cadavres, tellement on était usés… Il n’y a que deux choses pendant la guerre : mourir une fois, ou survivre tous les jours. »

    Nous sommes allés saluer André, à Muespach, avant de publier son témoignage. Il n’a rien ajouté à ce qu’il avait déjà dit et écrit, mais il a eu la lucidité de lancer ce dernier message : « J’espère que ça n’arrivera plus ! »

     

    guerre mondiale

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