• Sur la tombe d'un Malgré-nous inconnu

    Après avoir assisté à la cérémonie des 70 ans du Débarquement, à Ouistreham, les Malgré-Nous se sont recueillis samedi sur la stèle de l’un des leurs : l’« Alsacien inconnu » de Breteuil-sur-Iton (Eure).

    Sur la tombe d'un Malgré-nous inconnu

     

    « Le climat breton a débordé chez nous ! » , sourit Philippe Tisserant, secrétaire d’une association locale d’anciens combattants. La veille, vendredi 6 juin, il faisait grand beau sur la plage d’Ouistreham, où était organisée la cérémonie internationale du 70e anniversaire du Débarquement. Mais ce samedi matin, à Breteuil-sur-Iton (Eure), 130 kilomètres à l’intérieur des côtes, au cœur des terres normandes, il fait frais et humide. Ce temps correspond au moment. Nous sommes dans le cimetière communal et le ciel pleure un mort parmi tant d’autres : un Malgré-Nous anonyme qui est en train de devenir le « soldat inconnu » de l’incorporation de force, le symbole à la fois concret et abstrait de toutes ses victimes.

    « J’aurais pu être tué »

    Sa tombe est adossée à une haie. Sur la stèle de pierre s’efface lentement cette inscription : « Ici repose un Alsacien inconnu fusillé par les Allemands en juin 1944 ». Philippe Tisserant et ses amis anciens combattants du secteur, tels Pierre Osty et Claude Lemonchois, se sont promis de redonner un nom, et par ce fait l’hommage qu’il mérite, à ce sans doute jeune soldat, sans doute fusillé parce qu’il a tenté de déserter l’armée allemande dans les soubresauts qui ont suivi le 6 juin 44 (notre édition du 6 avril 2013).

    Leurs recherches ont été relayées en Alsace par Gérard Michel, président de l’association des Orphelins de pères Malgré-Nous d’Alsace-Moselle (OPMNAM), qui a alerté la presse. C’est cette même OPMNAM qui a organisé le déplacement de quatre Malgré-Nous alsaciens aux cérémonies d’Ouistreham (notre édition de samedi).

    Autour de cette tombe, ce samedi 7 juin, vers 11 h, un attroupement d’une quinzaine de personnes est en train de se former. Sont là les anciens combattants normands, des habitants du village, des journalistes… Sont là encore des représentants de l’association Solidarité normande aux incorporés de force alsaciens-mosellans (Snifam), en particulier Jean Bézard, son fondateur et animateur, et Serge Vuillemey, lieutenant-colonel de gendarmerie à la retraite ; l’action de ce duo a été décisive pour que les Malgré-Nous soient invités à Ouistreham, et ainsi reconnus, au même titre que tous les autres vétérans. Sont là enfin les Alsaciens… Trois des quatre Malgré-Nous sont encore de ce déplacement : Maurice Stotz, René Gall (88 ans chacun) et Armand Klein (90 ans).

    « Vous leur rendez l’honneur »

    Peu importent les kilomètres et la fatigue supplémentaires : il leur fallait venir ici en pèlerinage, saluer ce camarade dont ils ne savent rien, mais qui leur ressemble tant. « J’aurais pu être tué, moi aussi, quatre ou cinq fois ! , assure le Mulhousien Maurice Stotz, qui a réussi sa désertion de la Waffen SS près de Rouen, dans les semaines qui ont suivi le Débarquement (voir leurs parcours ci-dessous). Mais j’ai toujours pu me sauver de mes malheurs grâce à une chance inouïe… »

    Le soleil chasse la pluie quand débute le temps de recueillement. Des fleurs sont déposées sur la tombe par les Alsaciens puis les Normands, unis dans la même fraternité qui avait poussé, il y a 70 ans, malgré tous les risques, les seconds à aider les premiers. « Comment ne pas souligner la grandeur d’âme des gens de votre région ? » , demande Gérard Michel, dans un discours souvent interrompu par l’émotion. Ce fils de Malgré-Nous s’adresse particulièrement à Jean Bézard et à sa compagne, Nicole : « Vous avez révélé la vérité sur nos pères, vous leur rendez l’honneur… »

    Les recherches menées par la Snifam ne cessent de montrer à quel point les Normands ont aidé les Alsaciens il y a 70 ans. Et on ne cesse de constater à quel point ces Normands continuent, aujourd’hui, à soutenir, et comprendre, les Alsaciens. Le ruban entourant la gerbe offerte par l’OPMNAM et l’ADEIF (Association des déserteurs, évadés et incorporés de force), déposée sur la tombe du Malgré-Nous inconnu de Breteuil, porte ces mots : « L’Alsace reconnaissante à la Normandie ».

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