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La lettre d'un Malgré-nous
La belle histoire : Une lettre d'un Malgré-Nous de 19 ans, datée de Noël 1945, resurgit du passé
Auguste Fega avait 19 ans quand, jeune Malgré-Nous revenu vivant de la guerre, il a écrit une lettre de Noël, bouleversante, à sa famille de Magstatt-le-Bas. C’était en 1945. La lettre a été perdue... Puis retrouvée tout récemment, à Bâle. Une véritable enquête a permis de retrouver ses destinataires.
Bâle, novembre 2021. Des employés de BASF sont en train de déménager des bureaux. Ils déplacent un meuble. C’est alors qu’une lettre surgit du passé. Elle s’est trouvée coincée derrière un tiroir. Elle y a sommeillé durant des années. Elle aurait pu finir à la poubelle. Mais le papier semble ancien. Il y a une date : Weihnachten 1945. Ce n’est pas n’importe quel Noël. C’est le Noël de la paix…
Alors les employés de BASF vont trouver Cinthia Lang. Cette jeune Alsacienne, originaire de Blotzheim, est chargée de la communication interne au sein de l‘entreprise. Elle déchiffre la lettre. Ce n’est pas facile : la graphie de l’époque… Et puis il y a un morceau de ruban adhésif qui, au milieu de la lettre, a bruni, rendant un large passage illisible.
Cinthia Lang raconte : «Très vite, en lisant, j’ai été saisie par une émotion intense.» Parce que le contenu de la lettre est bouleversant. Que dit son auteur, qui signe simplement Auguste ? Il chante ce «Noël de paix» qui lui fait «oublier la coupe profonde et amère de la guerre, que si souvent nous avons bue». Il sait, lui, «ce que signifie passer Noël en terre étrangère, loin de la maison familiale, loin de son père et de sa mère, privé de toute joie !»
Cinthia Lang discute avec sa responsable. Elle a carte blanche pour aller plus loin. Elle envoie une photo, puis un scan avec une meilleure résolution, à ses parents. Pierre et Clémence Lang, de Blotzheim, sont férus d’histoire. Eux aussi sentent qu’il y a là une histoire, très belle, et un mystère à élucider. Cinthia Lang poursuit : «Nous nous voyons pour un dîner de famille, mi-novembre. Nous lisons la lettre. Elle raconte la guerre. L’espoir malgré la guerre. Maman, très vite, est sûre qu’il s’agit d’un Alsacien. D’un Malgré-Nous rentré de captivité. La lettre est en allemand, mais il y a ce prénom, Auguste avec un E. Et ces phrases, écrites dans un français parfait, à la fin de la lettre, avec des prénoms francophones…»
Le coup de pouce du destin
Mais rien n'est sûr. Il faut chercher plus loin. Pierre Lang a retranscrit ce qu'il pouvait à la main. Le texte est ensuite dactylographié. Avec Cinthia, il se penche une nouvelle fois sur le passage problématique. «Et nous n'y arrivons pas», confie-t-il. Le destin leur donne un petit coup de main, raconte Cinthia. «Nous avons réalisé qu'il y avait, dans la pochette confiée par mes collègues, une photocopie... Lisible, celle-là !» Il est écrit : à Magstatt-le-Bas. «Cela a été un instant de jubilation, poursuit Cinthia. Papa m’a dit : on va le trouver.»
Ils ont à présent le village, cette litanie de prénoms : Monique, Marthe, Clothilde, Yvonne, Odile et Marie-Jeanne, sans oublier «Tante Mathilde, Oncle Léon et Josef». Ils sont aussi sûrs que la lettre n'a pas été adressée à des parents ou à des frères et sœurs d'Auguste, mais à des proches... Alors Pierre Lang se demande : «Qui est-ce que je connais à Magstatt ?» Il y a Nadoue Caparos, «une copine de classe originaire de Blotzheim, nous étions ensemble au lycée à Saint-Louis ».
De Blotzheim à Magstatt-le-Bas
Cette dernière, aussitôt contactée, a été très touchée par la lettre. «Comme tous les Alsaciens, commente-t-elle. J'ai fait le rapprochement avec mon père, Malgré-Nous aussi, qui avait le même âge. Il est revenu du front russe avec une jambe en moins. Avec Auguste, ils auraient pu se rencontrer. Et puis c'est un texte beau, profond. Voilà un jeune homme, Auguste, qui survit à quelque chose d'horrible, qui le marque pour la vie. Et ce qu'il écrit alors à ses proches, avec sa foi, âgé de 19 ans... C'est bouleversant.»
Mieux : il a suffi que Pierre Lang prononce les prénoms, ce 20 novembre, «pour que cela fasse tilt». Et pour que Nadoue aille trouver Odile Herzog et Marie-Jeanne Muller, deux sœurs qui habitent toujours le village. Elles ont confirmé l’hypothèse : Auguste Fega, de Roppentzwiller, est un cousin de leur mère, Joséphine. C’est bien lui, l’auteur de la lettre. Marie-Jeanne – la petite dernière, dont le prénom apparaît deux fois dans la lettre de Noël 1945 – peut en apporter une autre à Cinthia, écrite dans les années 2000. La graphie est la même. «Il y a ces M très particuliers, et les grands jambages…»
Sans même parler du contenu des deux textes qui, écrits à quelque soixante années d’intervalle, se ressemblent étrangement. Auguste Fega «était resté très marqué par la guerre. Des anecdotes revenaient, constamment», se souvient Marie-Jeanne qui l’aimait beaucoup.
La lettre égarée
Restait à découvrir comment la lettre d’Auguste avait bien pu atterrir à Bâle. Cinthia a fait une demande au service du personnel. Elle a fini par trouver Philippe Baumlin, le fils de Monique, une des cousines citées dans la lettre, qui a travaillé pour BASF et qui est aujourd’hui retraité. Elle est arrivée à le joindre. Et le mystère s’est éclairci : c’est bien lui qui a malencontreusement égaré la lettre, transmise par sa grand-mère Maria à Magstatt, pour la rédaction d’une chronique familiale.
Et Cinthia Lang de raconter : «Nous nous sommes organisés la semaine suivante pour remettre la lettre à Marie-Jeanne et Odile, avec l’accord de l’entreprise.» C’était le premier vendredi de décembre, se souvient Marie-Jeanne.
Pour les Lang, l’auteur de la lettre de Noël aurait pu être un prêtre, ou un religieux. Marie-Jeanne leur a appris qu’il avait bien été au grand séminaire. Mais qu’il avait en fin de compte fait des études de médecine. «Il a fondé une clinique, à Besançon. C’était un homme bon, qui est resté très attaché à son Alsace natale. Il ne pouvait avoir d’enfants. Il en a adopté trois.»
Message universel d’espoir
Auguste Fega est décédé en 2005. Son épouse est établie à Besançon. Une de ses sœurs (il était issu d‘une fratrie de cinq enfants) vit encore à Riedisheim. Sa lettre de Noël 1945, elle, est donc symboliquement revenue à Magstatt-le-Bas. «La boucle est bouclée», sourit Cinthia. Tous les maillons de la chaîne qui s’est formée saluent «une formidable aventure humaine».
Au sein de BASF, où elle a partagé la lettre, «il y a eu des retours incroyables». La force de cette lettre, de son message de Noël, écrit en 1945, l’année de la paix, par un Malgré-Nous alsacien, c’est d’être «un message universel d’espoir qui nous transporte encore aujourd’hui».
Auguste Fega, ici photographié à Mulhouse, est décédé en 2005. DR
Weihnachten 1945
Meine lieben All’,
Die Glocken läuten froh, weit in der Ferne, erst verschallt der laute Klang.
Weihnachten. Friedensweihnachten! Oh wie tief ins Herz dringt doch dieses Wort und mit Freudestränen eil’ ich mit euch zur Krippe um dort wieder die wahre Freude zu finden, den tiefen bitteren Kelch der Vergangenheit, des Krieges aus dem wir so oft getrunken haben, dort zu vergessen. Was soll ich dem Jesukind verlangen für euch? Wahre Freude, Glück und Segen hiernieden auf dieser Erde möge es euch alle in Magstatt gross und klein von Grand-Mère bis zum Marie-Jeanne in seine Arme nehmen und euch segnen. Danken wollen wir ihm alle dass er uns so gut beschützt hat und zurück geführt hat.
Wie bitter muss der Schmerz jener sein, die mit ungestillter und hoffnungsloser Sehnsucht noch auf ein Lebenszeichnen ihres Gatten, Sohnes oder Bruder harren. Möge doch das Jesukind heute ihr Herz erfreuen und nur ein einziger Hoffnungsstrahl aufleuchten lassen damit auch sie unsere Weihnachten kennen, mit uns die Freude teilen können.
Möge es denen, die noch in fremder Erde weilen mit heissem Sehnen den Tag der Befreiung erwarten und heute nicht vor einem brennenden Tannenbaum stehen können, die kleine Flamme der Hoffnung eines Wiedersehens wieder hell aufleuchten lassen und sie bald in ihre Familie zurückführen.
Ich weiss was es heisst Weihnachten in der Fremde, weit vom Elternhaus, weit von Vater und Mutter, abgetrennt von aller Freude! Nur wer diese Sehnsucht kennt, weiss was leiden heisst. Schwer fällt es mir an den Tag zurückzudenken, heute vor einem Jahr. Weihnachten an der Front! Ich stand auf Posten, allein auf weiter Flur, in finstrer Mitternacht.
Die Welt war so stille, kein Laut, kein Ton, keine Kugel an der Stund. Traurig sah ich am Firmament nach jener Seite hin, wo am Himmel einige Sterne das Wort Heimat schrieben.
Ich dachte eure Friedensglocken zu Hause läuten hören, und weit über Feld und Flur mir euer Weihnachtsgruss bringen und zurufen: Frieden den Menschen.Als die Ablösung mich wieder in den Bunker zurückriefen Tränen flossen, traurig war mein Herz. War es wirklich nur ein Traum? Oh nein! Im kalten Erdbunker sassen meine Kameraden rund um den armen Tannenbaum. Zwei Kerzlein brennten nur, ein drittes zündete ich an, für euch ihr Lieben in der Heimat. Wir versuchten das «Stille Nacht» anzustimmen. Es klang gar traurig und einsam. Ein jeder dachte an seine Lieben zu Haus.
Wie eng wurde da das Band, das uns verbindete an dem Tage, an der Stund; ich fand Mut und raffte mich wieder auf, denn ich wusste, dass da, weit in meiner kleinen Heimat, ihr vor der Krippe steht und für mich betet. Heute möchte ich alles vergelten was ihr für mich getan habt. Beten will ich für euch, dass alle eure Wünsche in Erfüllung gehen an einem fröhlichen Weihnachtsfest!
Und nun zum Jahreswechsel, was soll ich mehr wünschen, als das was ihr euch alle selber wünscht, Gesundheit, wahre Freude und Gottessegen für das kommende Jahr.
Möge der liebe Gott euch alle noch recht lange gesund beisammen halten. Alles Leid und Kummer entfernen und euch frohe Tage geniessen lassen. Und wer er Prüfungen schickt, möge er euch den Mut geben, sie zu erdulden.
Rauh ist der Felsenpfad hierunten auf Erden, Herberge unserer kurzen Wanderschaft, alle Freuden dieser Welt sie vergehen, wie der lichtere Blumen Schein, aber himmlisch unvergesslich wird das Irdische einmal dort oben werden.
Ich habe nichts als Geschenk euch darzubieten, ihr wisst es, doch ein inniges Gebet wird eure Herzen erfreuen. An all’ meine herzlichsten Wünsche schliess’ ich tausend Küsse an euch alle und verbleibe stets eurerAuguste
Monique, Marthe, Clothilde, Yvonne, Odile und Marie-Jeanne: Fühlt euch geküsst, ich liebe auch alle. Alles nur erdenklich Gute für das kommende Jahr.
Fröhliche Weihnachten und alle guten Wünsche für ein glückliches, gesundes neues Jahr gehen auch an Tante Mathilde, Onkel Léon und Josef.Le texte de la lettre traduit en français
Noël 1945
Mes très chers tous,
Les cloches tintinnabulent joyeusement, et leur écho résonne jusque dans le lointain.
Noël. Noël de paix ! Oh, combien ce mot émeut mon cœur, et c’est en versant des larmes de joie que je me hâte avec vous vers la crèche pour y retrouver la joie véritable et oublier la coupe profonde et amère du passé, de la guerre, que si souvent nous avons bue. Quels cadeaux dois-je demander pour vous à l’enfant Jésus ? Joie véritable, bonheur et bénédiction en ce bas monde, qu’il vous serre dans ses bras et vous bénisse, vous tous à Magstatt, de Grand-Mère jusqu’à la petite Marie-Jeanne. Tous nous voulons le remercier de nous avoir si bien protégés et ramenés parmi les nôtres. Comme doit être amère la douleur de ceux qui, le cœur déchiré, attendent encore un signe de vie de leur époux, fils ou frère. Puisse l’enfant Jésus réchauffer leur cœur et faire briller un unique rayon d’espoir, afin qu’ils puissent eux aussi connaître notre Noël et partager notre joie. Puisse-t-il raviver la petite flamme de l’espoir de retrouvailles chez ceux qui séjournent encore en des contrées lointaines, attendant avec impatience le jour de leur libération, et qui ne peuvent se réunir aujourd’hui au pied d’un sapin brillant. Et puisse-t-il les ramener bientôt dans le sein de leur famille.
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