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La dernière des Pur-sang
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HISTOIRE | Résistance : Marcelle, la dernière des « Pur-Sang »
Durant la guerre, le réseau Pur-Sang s’est affairé, avant son démantèlement, à aider des prisonniers évadés et des civils à quitter clandestinement l’Alsace alors annexée à l’Allemagne nazie. Âgée de 96 ans, Marcelle Engelen-Faber est l’ultime survivante de cette filière animée par six Guides de France.Par-Libéré /François-Xavier MAIGRE Son parcours durant la Seconde Guerre mondiale, Marcelle Engelen – épouse Faber – ne l’évoque que rarement. Pudeur, modestie et retenue. Plus le passé est lourd, moins il est évident d’en parler. « La guerre a brisé ma belle jeunesse », lâche cette dame, âgée aujourd’hui de 96 ans, avant de relever avoir parfois l’impression que tout cela est arrivé à « une autre personne » qu’elle. « À l’époque, je n’ai jamais réalisé que je faisais quelque chose de spécial… »
Et pourtant ! Marcelle Engelen voit le jour le 3 août 1923 à Strasbourg, où son père est bijoutier. Dès l’âge de 6 ou 7 ans, comme ses quatre frères et sœurs, elle fait ses premiers pas dans le scoutisme. Ce mouvement va, en parallèle de son éducation, forger son caractère et faire naître en elle un certain patriotisme et un sens du devoir. C’est donc presque naturellement qu’elle intègre les Pur-Sang, une filière d’évasion organisée, à partir de l’automne 1940, par des Guides de France refusant l’annexion de l’Alsace à l’Allemagne nazie. À ses côtés, Lucienne Welschinger, la fondatrice du réseau, Emmy Weisheimer, Lucie Welker, ainsi que les sœurs Alice et Marie-Louise Daul. À pied à travers les Vosges, sous la neige « Nous étions toutes les six dans des compagnies de scoutisme différentes, mais il nous arrivait de participer aux mêmes camps et événements », précise Marcelle Engelen. « Je connaissais, également, les sœurs Daul parce que nos familles avaient toutes deux une maison secondaire à Grendelbruch. Quand elles m’ont proposé de rejoindre leur équipe, j’ai tout de suite accepté. J’étais un peu une tête brûlée et il ne faut pas oublier qu’en tant qu’Alsaciens, nous étions plus français que les Français ! » Sa première mission : établir un contact avec des prisonniers de guerre désirant quitter la région par le biais de permanences clandestines organisées tous les soirs au cœur de l’église Saint-Jean à Strasbourg. « Nous attendions entre 18 h et 19 h devant l’autel de la Sainte Vierge », raconte-t-elle. « Le mot de passe était Pierre… » Marcelle Engelen est alors lycéenne. Durant son année de terminale, elle passe devant le conseil de révision de l’ Arbeitsdienst , le service de travail obligatoire instauré par le IIIe Reich, et parvient à obtenir une réforme de six mois. « Il était hors de question que je fasse ce service ! », clame-t-elle toujours avec force et conviction. Pour y échapper, elle fait le choix de rejoindre Audincourt, dans le Doubs, où s’est installé l’un de ses frères. Elle profite de l’occasion pour aider quatre prisonniers de guerre et trois civils – dont une femme de confession juive – à quitter clandestinement l’Alsace.*
Leur périple débute, en train, de Strasbourg à Munster un dimanche d’octobre 1941. « Nous avons ensuite marché jusqu’à Gérardmer, sous la neige, en nous orientant grâce à une simple carte et à une boussole », se souvient-elle. « Les Allemands surveillant le sentier des Crêtes, nous l’avons traversé l’un après l’autre en essayant de faire le moins de bruit possible. Nous n’étions pas à l’abri de nous faire surprendre et arrêter. » « Un soldat allemand a surgi » Une fois à Gérardmer, le groupe est pris en charge par les sœurs de la communauté de Notre-Dame de Sion alors exilées de Strasbourg. Tandis que les personnes qu’elle a conduites sont dirigées vers Lyon, Marcelle Engelen part à Audincourt. Au bout de quelques semaines, l’envie de célébrer Noël avec ses parents la fait revenir – là encore clandestinement – à Strasbourg grâce, notamment, à l’assistance d’une fermière de Masevaux. Son séjour n’est que de courte durée. En effet, sa crainte d’un enrôlement dans l’ Arbeitsdienst la pousse, à nouveau, à repartir dès le mois de janvier 1942. « Ma mère m’a accompagnée à la gare de Strasbourg sans savoir ce que j’allais vraiment faire », explique-t-elle. « Elle ignorait que je ne partais pas seule. Je devais permettre à quatre prisonniers de guerre de quitter la région. Pour qu’ils me reconnaissent, je portais un foulard à fleurs sur la tête. Ma mère trouvait bizarre que des hommes, surtout plus âgés que moi, me regardent. Elle se doutait peut-être de quelque chose… Nous n’en avons jamais parlé, ni à ce moment-là, ni après. En tout cas, elle n’a rien dit lorsque je suis montée dans un train pour Sarrebourg. » De-là, la jeune passeuse et les quatre hommes qu’elle accompagne embarquent dans un autre train pour Landange, avant de marcher, de nuit par -10 °C, jusqu’à Cirey-sur-Vezouze. Tous reprennent ensuite les rails pour Épinal. « Nous sommes arrivés vers 20 h », précise Marcelle Engelen. « On m’avait indiqué que nous devions nous rendre dans un cabanon de triage situé au bout des voies. Une quarantaine d’hommes, tous des évadés, y attendaient de pouvoir quitter le territoire en montant dans des wagons de marchandises avec l’aide de résistants de la SNCF. Au milieu de la nuit, un sous-officier allemand a surgi. Des hommes ont immédiatement sorti leur couteau. Heureusement, il n’a pas saisi la situation. Il était seul, ivre et perdu. Il cherchait la Kommandantur. Comme je parlais allemand, je lui ai donné une direction – la mauvaise, bien entendu – et il est reparti. Jusqu’au matin, nous avons eu peur qu’il revienne avec d’autres soldats. Il ne s’est finalement rien passé… » Au chevet des blessés Après cet épisode, Marcelle Engelen retourne chez son frère à Audincourt.
Mauvaise nouvelle : Lucie Welker, une autre Pur-Sang, est arrêtée par la Gestapo le 26 février 1942 et les adresses des membres de son organisation sont retrouvées lors d’une perquisition à son domicile. À l’exception de Marcelle Engelen, toutes ses amies sont à leur tour interpellées, tout comme le sont six de leurs contacts. À l’issue d’un procès devant le tribunal du peuple, un verdict tombe en janvier 1943. Six d’entre eux sont condamnés à des peines allant de six à quinze ans de prison. La peine capitale est prononcée contre les cinq autres. Ils échapperont finalement à la mort, mais resteront emprisonnés jusqu’à la fin du conflit. « Lorsque les autres Pur-Sang ont été arrêtées, les Allemands sont venus me chercher chez ma mère. Elle leur a dit qu’elle ne savait pas où j’étais, que j’avais fugué… Ils n’ont pas insisté », souligne Marcelle Engelen en notant que son père a lui-même été incarcéré au camp de Schirmeck, de mai à décembre 1942, pour avoir participé à un autre réseau d’aide aux prisonniers de guerre. Son équipe démantelée, l’Alsacienne vit un temps chez l’une de ses sœurs dans l’Aveyron, avant d’intégrer l’École des infirmières et assistantes sociales à Lyon. À l’automne 1944, elle interrompt ses études pour s’engager comme infirmière dans le corps des auxiliaires féminines de l’armée de terre. Son affectation : Bellemagny, où elle donne les premiers soins aux soldats blessés dans les combats de libération du Haut-Rhin et de la Poche de Colmar.
La retraite en Isère Affectée ensuite en dermatologie, Marcelle Engelen demande et obtient sa démobilisation, le 1er mars 1946. De retour chez ses parents à Strasbourg, elle est rapidement recrutée pour organiser le service social de la maison centrale pour femmes de Haguenau. Elle reprend dès lors une vie plus classique. Lors des noces de l’une de ses sœurs, le cavalier qui lui est destiné ne peut finalement pas se déplacer. Jean Faber, son remplaçant qu’elle ne connaît pas, est un géologue de quatre ans son cadet. Originaire de la Meinau, il a été un Malgré-Nous durant la guerre. Coup de foudre avec la résistante. Ils s’unissent en juillet 1952 et donnent vie à quatre enfants. Du fait des activités professionnelles de Jean Faber, la famille va déménager à plusieurs reprises et vivre, notamment, en Nouvelle-Zélande dans les années 1960. Le couple de nonagénaires réside désormais à Meylan, près de Grenoble. Marcelle Engelen-Faber est l’ultime survivante des Pur-Sang. A lire aussi Malgré ses actes de bravoure, une oubliée de l’Histoire Résistance -
Quelque 350 évadés dont Marcel Rudloff Le réseau des Pur-Sang a permis, au total, à quelque 350 prisonniers évadés, résistants, réfractaires ou simples civils de sortir clandestinement de l’Alsace et de rejoindre la France libre. Parmi eux : un certain Marcel Rudloff, futur maire de Strasbourg, qui a quitté la région le 31 janvier 1942. Il était alors âgé de 19 ans. Cet épisode, il l’a raconté dans l’ouvrage Souvenirs pour demain : entretiens avec Alain Howiller (éd. La Nuée Bleue, 1996). Extrait : « Nous étions cinq garçons, deux filles qui voulaient rejoindre leur fiancé en zone libre, et nos guides. De Stosswihr, nous gagnons Soultzeren, puis nous nous dirigeons vers la route des Crêtes pour franchir les sommets entre le Hohneck et le Tanet. On s’enfonce dans la neige, on se perd un peu, la nuit tombe vite et notre groupe progresse péniblement. On perd du temps, pour nous retrouver finalement dans la montagne et passer la nuit dans un refuge de berger. Les deux filles nous conduisent avec beaucoup de sûreté, mais le mauvais temps freine notre progression, nous perdons un jour et une nuit par rapport au programme fixé… » Durant leurs activités d’extraction, les Pur-Sang ont aussi bien traversé les Vosges qu’entrepris des périples par la Suisse et la Moselle.
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