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Il y a 80 ans
Malgré-nous : rencontre avec les trois derniers incorporés de force du village
Charles, Auguste et Raymond sont originaires de Saint-Hippolyte. Ce sont les trois derniers incorporés de force du village encore vivants.
Depuis le balcon de la maison d’Auguste Meyer, la vue est imprenable sur la Forêt-Noire. Le nonagénaire vit avec son épouse, Colette, à la sortie de Saint-Hippolyte, sur la route des vins. C’est chez eux que les deux autres compères, Raymond Muhr et Charles Thirion, se retrouvent régulièrement pour boire un verre, parler du temps qui passe et, quelquefois, se remémorer cette période sombre que fut la guerre et ses terribles conséquences pour les jeunes Alsaciens. « On est heureux d’être encore ensemble », livre Charles Thirion né, comme Auguste, en 1925. Raymond, le plus jeune de la bande, a un an de moins. Cet homme au regard bleu azur s’excuse de ne pas bien entendre. « Ma mémoire commence à flancher », dit de son côté Auguste qui, pourtant, jongle encore sans problème avec les dates et les chiffres. C’est lui qui véhicule la joyeuse troupe dans le village.
Tant qu’il le peut, le trio participe aux cérémonies rendant hommage à ceux qui ne sont pas revenus. Ce fut le cas le 8 mai dernier quand l’association Snifam (solidarité normande avec les incorporés de force alsaciens et mosellans) a tenu son assemblée générale. Les trois anciens combattants se sont retrouvés devant le monument aux morts. « Après-guerre, on avait encore l’espoir de voir nos copains revenir, se rappelle Charles. Aujourd’hui, on pense encore à eux ». Saint-Hippolyte, village posé au pied du château du Haut-Koenigsbourg, a payé un lourd tribut à cette guerre. Plus d’une centaine d’habitants ont été enrôlés de force, près de trente ont été tués. La classe 25, celle d’Auguste et de Charles, a particulièrement été touchée avec huit décès.
« Il jouait La Marseillaise à l’orgue ! »
Eux sont revenus. Mais à quel prix. « On était des gosses à 18 ans ! » Des gamins qui avaient du courage. Charles par exemple. Comme les autres, il était passé devant le conseil de révision, antichambre du RAD (Reichsarbeitsdienst), à Ribeauvillé. « On est rentré à pied à Saint-Hippolyte. J’ai sifflé La Marseillaise. Malheureusement, le patron de la gendarmerie habitait une maison sur cette route et m’a entendu ». Il a payé son acte de résistance de quelques semaines de prison avant de voir sa date d’incorporation avancée.
Des gestes suffisent à montrer son attachement pour la France. Une affiche de propagande allemande arrachée et jetée dans un cours d’eau ; des cailloux lancés contre des panneaux de signalisation. « On se demandait ce qu’on pouvait faire contre les Boches, dit Charles. Mais fallait faire attention car il y avait des familles germanophiles ». Auguste cite ce prêtre, l’abbé Bourgeois, patriote jusqu’au bout des ongles. « Il jouait La Marseillaise à l’orgue ! »
Un colloque à Caen
À l’initiative de l’Association des Amis du Mémorial de Caen et avec le concours de la Snifam aura lieu, les 27 et 28 septembre un colloque dédié à l’incorporation de force. Plusieurs intervenants (le professeur Jean-Laurent Vonau, les historiens Nicolas Mengus, Philippe Wilmouth, Alphonse Troestler, la journaliste Marie Goerg-Lieby, l’enseignant Eric Le Normand, le fondateur de la Snifam Jean Bézard, les chercheurs Joseph Tritz et Claude Herold, le président de l’Association des Orphelins de Pères Malgré-Nous d’Alsace Moselle Gérard Michel, le président de l’association des amis du Mémorial Alsace-Moselle et l’auteur et metteur en scène Igor Futterer) aborderont différents angles : le changement de souveraineté en Alsace, les modalités de l’incorporation, les Malgré-elles, la résistance des Malgré-nous, l’aide des Normands à l’évasion des incorporés de force, les veuves et orphelins, les arts dans la transmission de la mémoire, le procès de Bordeaux ou encore les recherches sur les disparus.
« Après le massacre de Ballersdorf, on avait peur »
Pouvaient-ils échapper à l’incorporation de force ? Raymond et Auguste avaient réalisé un repérage à vélo au col de Sainte-Marie-aux-Mines. « Les Allemands faisaient régner la terreur, insiste Auguste. Ils nous avaient prévenus des conséquences pour nos familles. Et puis après le massacre de Ballersdorf (*), on avait peur ». Cette peur constante, « qui peut comprendre cela aujourd’hui ? »
Charles sera le premier à partir, en mai 1943. Il a embarqué dans un train à Colmar et a rejoint la Norvège. Puis, son unité, un régiment du génie, a été acheminée en Hongrie où il s’est retrouvé face à l’Armée rouge et ses orgues de Staline. « Le bruit était si impressionnant », se rappelle-t-il. Ses deux amis acquiescent. Tous ont été envoyés sur le front de l’Est. Raymond, comme beaucoup de la classe 26, a dû enfiler un uniforme de la Waffen SS et a été affecté à la 16e division Reichsführer SS. Lui aussi a combattu en Hongrie et se souvient d’affrontements violents autour du lac Balaton. « On était encerclés mais très bien équipés. On a pu s’en sortir ».
Incorporé le jour de ses 18 ans
Son unité a également subi les assauts des partisans italiens. « On ne voulait pas tomber aux mains des Russes car on savait qu’avec notre uniforme, c’était la mort assurée ».
Auguste est le seul à avoir retranscrit son périple commencé le 30 octobre 1943, jour de ses 18 ans. Ce récit, il l’a distribué à sa famille pour qu’ils n’oublient pas ce qu’a pu vivre leur père, leur grand-père. Il a connu son baptême du feu en Pologne lors de combats durant lesquels un de ses amis, Charles originaire de Colmar, a eu le bras arraché. Durant une bonne année, il va partager le destin d’un autre incorporé de force, Polonais, avec lequel il gardera contact après 45. Auguste a failli y rester, ce jour de mars 1945 où un obus tiré par un canon antichar russe a explosé tout près de lui. « Un soldat allemand a eu les jambes déchiquetées et moi, à peine une égratignure sur la nuque ! »
Auguste se souvient d’avoir croisé des volontaires Français de la division Charlemagne. « Dans mon unité, les soldats allemands ne voulaient plus combattre. C’était des camarades. On était dans le même pétrin ! » Six jours avant la fin de la guerre, le Haut-Rhinois et sa section sont faits prisonniers par les Américains près de Ludwigslust.
De retour au village un 14 juillet
Les trois garçons sont donc revenus sains et saufs. Charles se souvient de son père qui, agriculteur, « a tout laissé en plan dans son champ » et s’est jeté dans ses bras. « Il pleurait, il était si content ! » Passé par Paris, Auguste est arrivé en Alsace le 14 juillet. « Je voyais partout des drapeaux tricolores. Tout le monde pavoisait ». À la maison, sa mère l’embrasse, les larmes aux yeux. « Je suis allé de suite chercher notre drapeau que j’avais caché dans le grenier pour l’accrocher à la fenêtre ».
Aujourd’hui, que réclament-ils ? « Que le sort des incorporés de force ne tombe pas dans l’oubli », répond Auguste qui rend hommage à ceux qui se battent pour faire connaître « ce crime contre l’Humanité ». « On espère qu’un jour, les manuels scolaires feront mention de ce crime ». Ce qui n’est pas le cas.
(*) Du 17 au 24 février 1943, 18 Alsaciens réfractaires à l’incorporation de force sont fusillés par les Nazis. Leurs familles sont incarcérées à Schirmeck.
Commémorations
Ce jeudi 25 août, jour anniversaire des quatre-vingts ans de l’ordonnance concernant l’incorporation de force des Alsaciens, une cérémonie est prévue à 10 h 30, au Mont natio-nal, à Obernai.
Ce samedi 27 août, le Mémorial Alsace-Moselle, à Schirmeck, organise de son côté, de 14 h à 21 h, une après-midi intitulée « Une lumière pour mon grand-père Malgré-nous ». Des lanternes seront allumées, on pourra découvrir une exposition sur l’incorporation de force en Europe, se faire dédicacer le livre Le retour du soldat malgré lui par Daniel Fischer et Sylvie de Mathuisieulx, voir le film In memoriam, de Benjamin Steinmann, et assister à des conférences de Bernard Linder et Claude Muller.
SURFER Plus d’informations sur le site internet www.memorial-alsace-moselle.com
Bennwihr Emportés malgré eux dans la tourmente
Roger Eckert, à peine 17 ans, a dû quitter sa famille le 11 juillet 1944, appelé au service obligatoire, et rejoindre Leipzig où il a suivi une instruction au maniement du fusil de guerre K 98 puisqu’il devait obligatoirement faire l’objet d’une incorporation de force dès son retour.
Dénoncé par des voisins
Renvoyé dans ses foyers en novembre 1944, il a reçu l’ordre de se présenter au Wehrbezirkskommando à Colmar pour son incorporation. Sur les conseils de son père, il a décidé de ne pas donner suite à cette convocation en se cachant.
Dénoncé par des voisins comme déserteur de la Wehrmacht il fut recherché par la Gestapo, à laquelle il put échapper en utilisant de multiples cachettes. Il n’a rejoint Colmar qu’après la Libération.
Armistice en Suisse
François Nussbaumer, à l’âge de 16 ans, passa un premier conseil de révision et fut classé ajourné temporaire. Le 6 janvier 1945, une patrouille allemande lui remit son ordre de mobilisation auquel il fut contraint d’obtempérer sur-le-champ.
Après un nouveau conseil de révision, son unité fut présentée à un commandant à Neuf-Brisach avant d’être acheminée à Kollnau près de Waldkirch dans la 19e Armée Allemande où il fut affecté à la compagnie de réparation des véhicules endommagés.
Son périple sous l’uniforme allemand l’a mené à Constance, à Friedrichshafen, à Garmisch-Partenkirschen, en Autriche et enfin à Imst et Landeck avant de passer par la Suisse où le 8 mai 1945, les cloches ont sonné l’Armistice.
Enfin, après quelques jours passés en Suisse, un convoi composé de prisonniers de guerre, de STO et de Belges l’a ramené à Annemasse avant de rejoindre Colmar le 17 mai de cette même année.
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