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Journal L'Alsace du 2 décembre 2021
Concours national de la Résistance et de la Déportation : modification en catimini
La photo dans la nouvelle plaquette du concours national de la Résistance et de la Déportation illustrant un écrit sur le massacre d’Oradour-sur-Glane par les SS de la division Das Reich avait été critiquée par plusieurs associations alsaciennes. Elle vient d’être changée.
Leur courrier, adressé au directeur du mémorial de la Shoah Jacques Fredj, est pour l’instant resté lettre morte mais les responsables des associations mémorielles signataires (*) se satisfont déjà du changement récemment opéré dans la plaquette du concours national de la Résistance et de la Déportation (CNRD).
Destinée à servir de support pédagogique pour plus de 40 000 collégiens et lycéens qui présenteront cette année ce concours institué en 1961, cette plaquette, téléchargeable mais également imprimée, comportait une erreur de photo et légende qui avait fait réagir lesdites associations.
En page 18, un article sur le massacre d’Oradour-sur-Glane était illustré par un cliché pris… deux ans auparavant en Tchécoslovaquie, à Lidice , et dont la légende était la suivante : « Soldats allemands et alsaciens devant une maison en feu du village d’Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944 ». Relevant l’erreur de photo, les signataires se demandaient également comment les rédacteurs de la plaquette pouvaient « distinguer un Allemand d’un Alsacien ».
Toujours dans leur lettre, les associations regrettaient que ce dossier, élaboré par un comité que présidait Tristan Lecoq, inspecteur général de l’Éducation nationale, n’aborde pas la problématique de l’incorporation de force et les spécificités des trois départements français annexés dès 1940 par le régime nazi au vu du thème du concours : « La fin de la guerre. Les opérations, les répressions, les déportations et la fin du IIIe Reich (1944-1945) ».
Un feuillet volant dans les plaquettes
En catimini, la photo a été changée et montre désormais un bâtiment du village de la Haute-Vienne ruiné avec une légende appropriée (« Le village martyr d’Oradour, victime de la division SS Das Reich »). Selon Tristan Lecoq, un mauvais archivage de la photo dans le fonds du Mémorial de la Shoah serait à l’origine de cette erreur. L’inspecteur général précise qu’un feuillet volant mentionnant cette erreur sera inséré en page 18 dans les plaquettes imprimées.
Enfin, sur le dernier point, Tristan Lecoq ne s’oppose pas à un enrichissement de la présentation du CNRD en ajoutant des éléments sur les importantes opérations militaires, les répressions contre les résistants et les déportations dans les trois départements annexés. Un ajout que l’on retrouverait sur le site internet de l’académie de Strasbourg. Il propose en outre un lien du site national du CNRD vers ce dernier. Selon Marie Goerg-Lieby, président de l’Aeria, l’inspecteur général estime que « les événements régionaux ne peuvent pas être cités [dans la brochure du CNRD] mais il appartient aux autorités académiques et aux historiens de décliner le thème national ».
(*) L’Aeria (association pour des études sur la Résistance intérieure des Alsaciens), les Amis du mémorial Alsace-Moselle, l’association des pupilles de la nation et orphelins de guerre d’Alsace (Apoga), les délégations haut et bas-rhinoises de la fondation pour la mémoire de la déportation, l’Opmnam (orphelins de père Malgré-nous d’Alsace-Moselle).
Journal L'Alsace du 24 novembre 2021
77 ans après, il apprend que son frère a été sauvé en Normandie
Grâce à un article de presse, Jean Thomas, habitant de Drusenheim, a appris que son frère, incorporé de force, avait été sauvé par des Normands en 1944, quelques mois avant son décès en Allemagne.
Quand, le 24 août dernier, Jean Thomas lit les DNA et tombe sur le dossier consacré aux incorporés de force, sauvés par des familles normandes après le Débarquement , il n’en croit pas ses yeux. Il se penche plus particulièrement sur l’histoire de la famille de Maurice Orvain qui recueille un certain… Albert Thomas, son frère ! « Après tant d’années, j’ai appris qu’il avait combattu en Normandie et avait été recueilli par des habitants de Montigny », témoigne Jean, qui réside à Drusenheim. « Ce fut une grande surprise pour lui ; il était particulièrement ému », souligne son épouse, Marie-Louise.
Dans la foulée, Jean cherche à joindre Maurice Orvain qui, en 1944, avait 6 ans. C’est sa maman qui a pris l’initiative de cacher Albert Thomas dans sa ferme. Ce dernier, accompagné d’un autre incorporé, Charles Rohner, s’était échappé de son unité -rattachée à la 12e division SS Hitlerjugend- et avait frappé à la porte de la mairie de Montigny, dans la Manche. L’instituteur de la commune, membre d’un réseau de résistance, et le maire, décident de les cacher. Les deux hommes troquent leurs uniformes contre des habits civils et se réfugient dans deux fermes. Thérèse Orvain récupère Albert Thomas qui devient journalier agricole. Alors que la bataille de Normandie fait rage, un état-major allemand investit la ferme des Orvain. Sentant le danger, Albert Thomas quitte Montigny.
Maurice Orvain devant la ferme où Albert Thomas a pu se réfugier durant l’été 1944. Photo DNA /DR« Ne pars pas, tu ne reviendras plus… »
L’Alsacien avait été enrôlé de force en 1944. « Le seul souvenir que j’ai de lui, c’est lors de son départ, se rappelle Jean, qui n’avait que quatre ans. Je le vois encore sur le perron de notre maison, en civil, dire au revoir à notre mère et à ma sœur. Il y avait aussi ma grand-mère paternelle qui lui a dit : “Ne pars pas, tu ne reviendras plus… ». Paroles prémonitoires. Car, si Albert arrive à s’extirper des griffes de la SS grâce à la famille Orvain, c’est en Allemagne, quelques mois plus tard, qu’il trouve la mort. « Il nous cherchait sûrement. Notre famille [en plus d’Albert, la fratrie compte trois garçons -Fernand, Pierre, Jean- et une fille, Madeleine] avait été évacuée en Allemagne avec l’offensive des Alliés. On s’est retrouvé en Haute-Bavière puis dans un village près d’Offenbourg ».
Albert Thomas meurt, victime de l’explosion d’une mine, en mai 1945 à Freistett. « Mon père ira récupérer sa dépouille pour qu’il soit enterré à Herrlisheim », indique Jean.
Albert Thomas. Photo DR« On se recueillera sur la tombe d’Albert »
Quand Maurice a reçu le coup de téléphone de Jean, il en a pleuré. « Il ne savait rien de cette histoire ! », s’exclame le Normand qui, symboliquement, a posé sur une commode de sa maison la photo d’Albert Thomas. « Je l’ai invité à venir en Normandie. On viendra en Alsace l’an prochain, promet Maurice Orvain, et on se recueillera sur la tombe d’Albert ». Jean Thomas espère pouvoir faire le voyage à Montigny en 2022 avec sa fille.
Journal L'Alsace du 21 novembre 2021
« Soldats alsaciens à Oradour-sur-Glane », la légende photo qui ne passe pas
Dans la dernière plaquette du concours national de la Résistance et de la déportation, document sur lequel vont s’appuyer des milliers de collégiens et lycéens, une erreur concernant une photo et sa légende ont fait bondir les associations mémorielles alsaciennes.
Cette photo, dont la légende suscite la polémique, Claude Herold l’avait déjà vue. Il a mis quelques heures avant de retrouver sa trace sur internet. « Elle a été prise le 10 juin 1942 en Tchécoslovaquie, dans le village de Lidice » , soutient celui qui s’est spécialisé dans la recherche de sépultures d’incorporés de force portés disparus. Plusieurs sites spécialisés référencent d’ailleurs ce cliché où l’on voit des soldats allemands poser devant une maison en feu. Ce jour-là, un détachement de SS pénètre dans ce village de Bohême-Centrale et, en représailles à l’attentat contre le gouverneur de Bohême-Moravie, Reinhard Heydrich, assassine plus de 260 adultes, les autres habitants, femmes et enfants, sont déportés. Lidice est ensuite incendié puis rasé.
La photo est en page 18 de la nouvelle plaquette du concours national de la Résistance et de la Déportation (CNRD) éditée par le Mémorial de la Shoah qui a assuré le pilotage de ce dossier. Un dossier élaboré par un comité que présidait Tristan Lecoq, inspecteur général de l’Éducation nationale. Institué en 1961, ce concours, ouvert aux collégiens de 3e et aux lycéens, porte cette année sur « La fin de la guerre. Les opérations, les répressions, les déportations et la fin du IIIe Reich (1944-1945) ».
La plaquette arbore sous cette photo la légende suivante : « Soldats allemands et alsaciens devant une maison en feu du village d’Oradour-sur-Glane, le 10 juin 1944. » © Mémorial de la Shoah« Soldats allemands et alsaciens… »
La photo de Lidice illustre un petit article sur le massacre d’Oradour-sur-Glane par la division SS Das Reich le 10 juin 1944. Ce qui fait dire à Claude Herold que les rédacteurs ont sûrement confondu les deux événements qui se sont déroulés à la même date mais à deux ans d’intervalle. La légende, en revanche, l’a fait bondir. « Soldats allemands et alsaciens devant une maison en feu du village d’Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944 ». Et il n’est pas le seul à avoir tiqué.
Président de l’Opmnam (orphelins de père Malgré-nous d’Alsace-Moselle), Gérard Michel a adressé un courrier au directeur du Mémorial de la Shoah, Jacques Fredj, qui signe la préface dans la plaquette du CNRD. Si ce dernier ne conteste pas la présence d’incorporés de force alsaciens à Oradour, il questionne : « La nationalité des soldats n’est pas précisée sur leur vareuse ni sur leur casquette. […] Sachant que la division Das Reich était composée des nationalités allemande, ukrainienne, autrichienne, norvégienne, croate, belge, russe et polonaise, pourquoi ne citer que les origines allemande et alsacienne ? »
« Un doute inadmissible » et « occasion manquée »
L’association pour des études sur la Résistance intérieure des Alsaciens (Aeria), présidée par Marie Goerg-Lieby, estime que cette légende est « incompréhensible » et « laisse planer un doute inadmissible pour un livret de transmission de l’Histoire ». Son courrier, adressé à la fois à la ministre déléguée Geneviève Darrieussecq et à Jacques Fredj, est cosigné par de nombreuses associations (dont les Amis du mémorial Alsace-Moselle, l’association des pupilles de la nation et orphelins de guerre d’Alsace ou encore les délégations haut et bas-rhinoises de la fondation pour la mémoire de la déportation).
Tout comme l’Opnam, l’Aeria estime navrant que la thématique de cette année -la fin de la guerre- occulte la « spécificité des trois départements français qui, par l’annexion de fait, ont subi la nazification forcée ». « L’administration civile était nazie sur ce territoire français ; les condamnations à l’emprisonnement, à la déportation et à la mort pour tout acte considéré comme hostile au IIIe Reich et jusqu’aux derniers massacres et combats violents se prolongeant jusqu’en mars 1945 sont des caractéristiques qui appartiennent à notre histoire nationale ».
Les associations alsaciennes soulignent cette « occasion manquée » d’expliquer aussi ce que fut l’incorporation de force de quelque 140 000 hommes et femmes. Elles demandent « de réaliser un complément sous la forme d’une annexe pédagogique, téléchargeable, sur les sites de l’Éducation nationale et du Mémorial de la Shoah ». Et, a minima, la correction de l’erreur concernant la photo.
Contacté, le Mémorial indique que le dossier a été transmis à ses historiens.
Journal l'Alsace du 15 novembre 2021
Marie Muller-Uter, une femme dans la Résistance
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Marie Muller-Uter, dont la famille est originaire de Kilstett, s’est illustrée dans la Résistance. Capturée, elle a vécu de longues années en déportation.
Par -Marie Uter a vu le jour à Schalbach, en Moselle, le 15 août 1901. La fratrie compte sept enfants qui grandissent sous la seule vigilance de leur mère, originaire de Kilstett près de Strasbourg, le père ayant été tué alors que Marie n’avait que 9 mois.
À 21 ans, cette dernière se marie à Strasbourg et s’installe avec son époux à Wissembourg. Elle est couturière et très appréciée pour ses talents de brodeuse.
De la Résistance à la déportation
En septembre 1939, la guerre fait irruption dans sa vie. Marie Muller et son époux sont évacués en Haute-Vienne, puis dans le Lot-et-Garonne. Après l’Armistice du 22 juin 1940, les autorités allemandes exigent le retour des évacués de 1939 ; la famille est de retour à Wissembourg en septembre 1940.
En 1941, Marie est approchée par son amie Marie Gross afin d’aider à cacher et convoyer hors de l’Alsace annexée des prisonniers de guerre et des jeunes Alsaciens craignant l’enrôlement de force.
Elle les loge dans son foyer, les nourrit, les soigne et les habille avec la complicité de son époux et de son fils. Aux voisins, elle dit parfois accueillir des cousins lorrains ne parlant que français.
Elle en accompagne certains à Strasbourg, jusqu’à l’auberge À l’Ancienne Gare, où elle les remet à la filière des Pur-Sang formée en 1940 par six jeunes filles Guides de France.
Le 28 février 1942, l’une des Pur-Sang est contrôlée dans un train par les douaniers. À son domicile, on découvre les noms de tous les membres du réseau, qui sont arrêtés tour à tour. Marie est appréhendée chez elle à Wissembourg le 24 avril 1942 et conduite, par la Sipo ( Sicherheits-polizei ), à Strasbourg où elle est écrouée le lendemain.
Le 21 mai, elle est transférée au camp de sûreté de Schirmeck-Vorbruck où elle est internée huit mois.
Le 26 janvier 1943, le premier Sénat du Volksgerichtshof de Berlin, présidé par Roland Freisler – nommé par Hitler lui-même – se réunit à Strasbourg. Ce procès mémorable se veut un exemple pour dissuader la population de toute velléité de résistance. Face au président du tribunal et à cinq juges, devant une salle comble, se tiennent onze accusés, dont Marie. Cinq d’entre eux sont condamnés à mort, Marie est condamnée à 10 ans d’emprisonnement et à la perte de ses droits civiques.
Le 5 février, elle est déportée en Allemagne et est enfermée à la forteresse de Ziegenhain près de Bonn. Là, douze heures durant, sept jours sur sept, elle est obligée de coudre des sacs à s’en meurtrir les doigts. Jour après jour, les mois, puis les années passent. Elle ne sait pas ce que sont devenus les siens. Les conditions sont rudes, les condamnés politiques sont mêlés aux prisonniers de droit commun.
Début 1945, lueur d’espoir : les Américains avancent. Le 26 mars, la prison est évacuée en urgence et les détenus enfermés dans des wagons à bestiaux. Le train entame un périple de plusieurs jours sous les bombardements, sans destination précise. Affamés, assoiffés et terrifiés, les prisonniers sont couchés à même le sol des wagons qui les protègent à peine du froid insupportable de ce début de printemps.
Le convoi, après plusieurs détours, stationne près d’une semaine sur le quai de déchargement du camp d’extermination de Bergen-Belsen, qui refuse, heureusement pour eux, d’accepter ces nouveaux venus. Il reprend enfin son voyage et parvient, le 5 avril, au camp de concentration de Fuhlsbüttel à Hambourg. Les malheureux ne sont pas libérés pour autant.
Marie souffre du typhus et est admise, mi-mai, à l’hôpital de Hambourg-Langenhorn.
Très amoindrie par ses 38 mois de privations, elle est finalement libérée le 6 juin 1945 par les alliés.
Marie a vécu à Wissembourg jusqu’à son décès en 1971, usée par les épreuves épouvantables endurées durant ses années de captivité.
Elle a été décorée de la Croix de guerre avec étoile de vermeil, de la médaille de la Reconnaissance française, de la Médaille militaire, du Mérite national, de la Croix du Combattant volontaire de la guerre 1939-1945 et a été reçue chevalier de la Légion d’honneur à titre militaire.
Son ascendance alsacienne
Sa mère, Louise, était née à Kilstett (la maison existe toujours), cadette des douze enfants du couple Daniel Griesbach, maçon, et Hélène Weber. Une grande partie de la famille s’est installée, tout comme elle, en Moselle où vivent encore des descendants. L’ascendance parmi les Griesbach, Herrmann, Veltz, Hommel, Hörnel, Lentz, Kress, entre autres patronymes, continue à Kilstett, où elle est difficile à poursuivre en raison de l’absence des registres paroissiaux dès le XVIIIe siècle. À La Wantzenau, en revanche, on peut la remonter quatre générations de plus jusqu’au milieu du XVIIe siècle, parmi les Laas, Schutz, Deutsch, Ursch…
Journal L'Alsace 25 août 2021 :
Souvenir/Cérémonie pour les Malgré-nous au Mont-Ste-Odile « Vois à tes pieds, réunis, les fils de ta Province… »
Jean Rottner, Gérard Michel, président de de l’OPMNAM (association des Orphelins de Pères Malgré-Nous d’Alsace Moselle).Un vent froid balaie la terrasse nord de l’abbaye du Hohenbourg. Et emporte vers la statue de sainte Odile qui le surplombe le serment que martèle une petite assemblée. « Sainte Odile, patronne vénérée de notre Alsace, Vois à tes pieds, réunis, les fils de ta Province, Les mobilisés de force, les Évadés, les Prisonniers, Ceux qui ont survécu à l’abominable guerre. Écoute ce qu’ils te disent, pour eux-mêmes, Pour leurs familles et leurs camarades sacrifiés », récite la soixantaine de personnes présentes : porte-drapeaux immobiles, représentants et adhérents d’associations, élus. Sur les dernières rangées de bancs, quelques visiteurs des lieux se sont arrêtés, posant sac à dos et bâtons de randonnée pour s’asseoir et écouter.
« Le devoir de comprendre, le devoir d’expliquer »
« Nous avons le devoir de comprendre, le devoir d’expliquer. Nous, Alsaciens, avons dans nos gênes le devoir de perpétuellement faire comprendre [l’incorporation de force]. La faire comprendre aux Français de l’intérieur, aux Allemands, et parfois aussi aux Alsaciens eux-mêmes », dit à la tribune Jean Rottner, président de la Région Grand Est, qui a tenu à se déplacer pour « ce moment important ». Le sujet, explique-t-il, le touche personnellement : « l’oncle de ma mère n’est jamais revenu. Parfois, pendant les repas de famille, on me demandait de quitter la pièce. On ne parlait pas de cela devant les enfants. Il a fallu que je chemine moi-même pour comprendre le drame des Malgré-nous. »
L’homme se souvient « de la douleur de [sa] grand-mère qui ne savait pas où son frère avait disparu », l’homme politique insiste sur l’importance de rappeler que « la cause de tout cela c’est le nazisme, ce régime qui a décidé de l’extermination de certains, de l’incorporation d’autres, qui a décidé de l’élimination humaine. Et cela il faut le rappeler. L’antisémitisme, la peste brune, sont toujours là. C’est un message extrêmement contemporain qu’il faut adresser à certains qui ont tendance à l’oublier. »
Servir la France et « son idéal de justice et de dignité humaine »
C’est cette « odieuse tyrannie » de la guerre que les incorporés de force rappelaient dans leur serment de 1956. « Nous proclamons l’unité du drame Alsacien et Mosellan, Nous affirmons que l’épreuve de la guerre étrangère n’a pas vaincu ni entamé notre foi patriote Et que nous lutterons pour le triomphe de cette vérité. Fils fidèles et dévoués de ce terroir, nous faisons ce serment solennel. De vous toutes nos forces, nos actions, nos pensées, à notre seule patrie, la France. Et de servir sans restriction son idéal de justice et de dignité humaine. » Récitant ces mots, Gérard Michel, président de l’OPMNAM (association des Orphelins de Pères Malgré-Nous d’Alsace Moselle, qui a co-organisé cette cérémonie), écrase une larme. Elle n’est pas due au vent.
Journal L'Alsace 24 août 2021 :
Normandie : la grande évasion d'incorporés de force alsaciens à l'été 1944
Plus de mille Alsaciens et Mosellans ont été engagés sur le front de Normandie en juin/juillet 1944. Incorporés de force dans l’armée allemande, plusieurs dizaines d’entre eux ont réussi à s’évader, aidés par des familles normandes. Une histoire qu’un couple du Calvados s’échine à faire connaître.
Cette histoire dans l’Histoire a été révélée par le travail d’une association, la SNIFAM (Solidarité normande avec les incorporés de force d’Alsace et de Moselle), créée à l’initiative de Jean Bézard et Nicole Aubert, un couple qui habite à Saint-Aubin-sur-Mer, dans le Calvados, commune en bord de mer, donnant sur Juno beach.
L’incorporation de force dans les armées du IIIe Reich des Alsaciens et Mosellans entre 1942 et 1945 est un pan de l’Histoire peu connu en France en dehors des trois départements concernés.
Selon les dernières recherches menées par les historiens, elle a concerné 127 500 Français, soit 21 classes en Alsace et 14 en Moselle. Quelque 15 000 femmes âgées de 17 à 22 ans sont également incorporées. Soit un total de 142 500 hommes et femmes.
Dans son dernier ouvrage, Les Malgré-nous, l’incorporation de force des Alsaciens-Mosellans dans l’armée allemande (2019, édition Ouest France), Nicolas Mengus indique que 30 400 sont morts ou portés disparus (chiffre actualisé grâce aux recherches en lien avec le projet avorté du « mur des noms » mais sûrement sous-estimé) et 30 000 reviendront en France, blessés ou invalides.
L’incorporation de force ne concerne pas que la France rappelle l’historien. L’Allemagne nazie a enrôlé de 295 000 à 750 000 Polonais, 39 000 Slovènes, 9 100 Luxembourgeois, 8 000 Belges.
En Alsace-Moselle, le Reichsarbeitsdienst (RAD), service du travail du Reich, introduit en Alsace le 8 mai 1941 va préparer le terrain à l'incorporation de force. A cette époque, le Gauleiter Robert Wagner, qui administre l’Alsace, annonce que tous les Alsaciens de 17-25 ans, hommes et femmes, « peuvent être appelés au RAD ». Les premiers conseils de révision concernant les garçons de la classe 1922 et les filles de la classe 1923, se tiennent dès le mois d'août.
En août 1942, Wagner et Josef Bürckel, administrateur de la Moselle, obtiennent de Adolf Hitler, lors de la conférence de Vinnitsa, d’imposer le service militaire obligatoire. Le 26 août 1942, les Strassburger Neueste Nachrichten et le Mülhauser Tagblatt publient les décrets signés la veille par Robert Wagner. Le service devient obligatoire pour les jeunes gens d'Alsace « appartenant au peuple allemand ». Josef Bürckel avait signé le 19 août l'ordonnance sur la conscription mais elle ne sera annoncée que le 29.
Les incorporés de force vont essentiellement intégrer la Wehrmacht (la Wehrmacht-Heer, la Luftwaffe et la Kriegsmarine) mais plusieurs milliers d’entre eux se retrouveront dans la Waffen SS. Ils vont combattre, pour leur grande majorité, sur le front de l’est mais après 1943, on les retrouve sur les autres fronts (Europe de l’est, du nord, Italie, France).
Le 6 juin 1944, le Débarquement des troupes alliées en Normandie ouvre un premier front en France.
Démarre la terrible bataille de Normandie, qui va durer jusqu’à fin août 1944 avec la fermeture de la poche de Falaise. Nom de code opération Overlord, c’est l’un des plus grandes batailles de la Seconde Guerre mondiale.
Durant ces combats, on estime à plus de 1200 le nombre d’Alsaciens et Mosellans engagés dans cette bataille dont 800 dans la Waffen SS.
Trois cents seront tués et quelque 200 d’entre eux vont réussir à s’évader.Cette histoire dans l’Histoire a été révélée par le travail d’une association, la SNIFAM (Solidarité normande avec les incorporés de force d’Alsace et de Moselle), créée à l’initiative de Jean Bézard et Nicole Aubert, un couple qui habite à Saint-Aubin-sur-Mer, dans le Calvados, commune en bord de mer, donnant sur Juno beach.
Depuis plus d'une décennie, Jean Bézard et Nicole Aubert recueillent les témoignages de Normands et d'Alsaciens.
L'histoire de Bernard le Bois
et de Georges AdamBernard le Bois avait 16 ans en 1944. Il habitait dans un lieu-dit, La Herbinière, sur la commune de Montabot dans la Manche.
Alors que le Débarquement a eu lieu depuis plusieurs jours, une compagnie de Waffen SS prend possession de la ferme des parents de Bernard. Les gradés logeaient dans un fournil qui n'existe plus aujourd'hui et les soldats s'entassaient dans une dépendance.
Un jour, la compagnie part au front près de Saint-Lô, à Saint-Georges-Moncocq. A leur retour, Bernard le Bois entend les rescapés dirent "kaputt, kaputt !"
Après cette bataille, Georges Adam décide de déserter. La famille le Bois lui procure des habits civils. "On a enterré son uniforme et son fusil", se souvient le Normand.
L'Alsacien et ses sauveteurs quittent le village et grossissent les cohortes de réfugiés. Ils se retrouvent dans le Calvados. le 3 août 1944, ils apprennent qu'ils sont libérés. Georges Adam se rend aux Américains à qui il raconte son histoire. Pris pour un espion, il est emprisonné dans un camp près de Cherbourg. L'Alsacien, originaire de la région de Saverne, ne recontactera jamais la famille le Bois.
L'histoire de Maurice Orvain
et des Alsaciens Albert Thomas et Charles RohnerAu printemps 1944, deux Alsaciens portant l'uniforme allemand se rendent à la mairie de Montigny dans la Manche. Ils sont reçus par l'instituteur du village, secrétaire de mairie et résistant.
L'histoire ne s'arrête pas là. Quelques jours après la Libération du village, la mère de Maurice Orvain est accusée par trois soldats américains d'avoir accueilli et protégé un soldat allemand...
Les Normands ne reverront jamais les deux Alsaciens au tragique destin. Albert Thomas décèdera le 2 mai 1945, par l'explosion d'une mine en Allemagne. Et Charles Rohner succombera en novembre 1946 de tuberculose.
L'histoire de Simone Levée et des trois incorporés cachés dans la grange familiale
Simone n'a que 14 ans lorsque, en pleine bataille de Normandie, des troupes allemandes occupent la ferme familiale située près de Tinchebray, au sud-est de Vire dans l’Orne.
Vers la mi-août 1944, alors que les Allemands ont quitté la ferme, la famille de Simone découvre, dans le grenier d'une écurie, trois soldats en uniforme allemand. Ils étaient restés depuis trois jours sous la toiture, sans boire ni manger.
Simone n'entendra jamais plus parler de ces trois hommes. Mais leur souvenir est toujours gravé dans sa mémoire: "Des histoires de jeunesse comme ça, ça marque à vie !"
L'histoire de Louis Bloch
et de la famille BagotLouis Bloch est né en mars 1915 à Seppois-le-Haut dans le Haut-Rhin. Il effectue son service militaire de 1936 à 38 et est rappelé en 1939. Il participe à la bataille de France.
Il est incorporé de force en 1943 et il est envoyé sur le front de l'est (Pologne, Tchécoslovaquie, URSS) puis son unité rejoint la France et la Normandie. Alors que sa compagnie stationne près de la commune du Mesnil-Tôve dans la Manche, Louis Bloch décide de s'évader.
Alors qu'il est envoyé à la mairie du Mesnil-Tôve, vers la mi-juillet 1944, pour récupérer des victuailles, Louis Bloch demande au maire, Jules Bagot, de l'aider à se cacher. Ce dernier lui procure des habits civils et l'emmène à sa ferme où il devient ouvrier sur l'exploitation.
"Jamais les Allemands ne l'ont cherché", se rappelle Marin Bagot, 21 ans à l'époque, fils de Jules Bagot. "Peut-être ont-ils pensé qu'il avait été tué."
La situation se tend lorsque des officiers supérieurs nazis prennent possession de la ferme pour y loger. Ils préparent une contre-offensive dont l'objectif est d'isoler la tête de pont de l'armée Patton. Louis Bloch entend leur conversation et prévient les Bagot. Marin et Louis décident de rejoindre le QG américain et pour cela ils franchissent le front. Louis Bloch permet de déjouer les plans allemands.
Les deux hommes se sont revus après guerre. Bien plus tard, Marin Bagot recevra un certificat de la part du 1er bataillon du 39e régiment d'infanterie pour "service exceptionnel rendu à l'armée des Etats-Unis".
Si la SNIFAM n'a vu le jour qu'au début des années 2010, Jean Bézard et Nicole Aubert s'intéressent au sujet de l'incorporation de force depuis près de vingt ans.
L’intérêt de Jean Bézard pour l’incorporation de force s’explique par une rencontre en juillet 1944 avec un Alsacien à peine majeur, sûrement tué lors des terribles combats de La Haye du Puits.
Jean Bézard explique pourquoi les Normands ont aidé les Alsaciens, essentiellement dans les milieux ruraux, où stationnaient les troupes allemandes.
Avec la disparition des derniers témoins, la SNIFAM souhaite s'engager dans un travail de devoir de mémoire.
Journal L'Alsace :
Alsaciens et Mosellans portés disparus : la quête du Turckheimois Claude Herold
Les descendants de quelque 16 000 Alsaciens et Mosellans, morts durant la dernière guerre, ne connaissent pas le lieu d’inhumation de ces incorporés de force. Claude Herold se charge de trouver ces sépultures, souvent avec succès.
Dans son étroit bureau, Claude Herold navigue sans peine. Des dizaines de classeurs peuplent ses étagères qui couvrent un mur entier. Il met peu de temps à chercher le dossier de tel ou tel incorporé de force porté disparu. C’est son domaine les Malgré-nous dont on n’a jamais retrouvé le corps. Selon des documents de la Croix-Rouge allemande, il y aurait 1,3 million de soldats de la Wehrmacht disparus dont 16 000 Alsaciens et Mosellans sur quelque 30 400 victimes (*).La Croix-Rouge a réalisé, après-guerre, des listes exhaustives dans lesquelles on trouve le régiment du militaire, son nom et prénom, sa date de naissance, le dernier lieu où il a été aperçu et, souvent, sa photo. Claude Herold s’est servi de cette masse d’informations pour extraire les données des 16 000 Alsaciens et Mosellans.
Des centaines de dossiers élucidés
Mais il ne se contente pas de les répertorier. Il enquête. Généralement à la demande des familles qui souhaitent identifier le lieu de sépulture de leur ancêtre. « Ce sont des petits-enfants, quelquefois des arrière-petits-enfants, des neveux qui nous contactent », confirme le sexagénaire qui réside à Turckheim. Le « nous » comprend d’autres passionnés de cette histoire bien particulière comme Patrick Kautzmann ou encore Nicolas Mengus, créateur d’un site spécialisé sur l’incorporation de force qui joue les intermédiaires entre les familles et Claude Herold.
Des centaines de cas ont pu être élucidées grâce à la ténacité de l’Alsacien qui a su se constituer des réseaux efficaces, notamment en Allemagne. Pour arriver à ses fins, il jongle avec les dossiers du bureau des archives militaires à Caen et avec ceux de la Deutsche Dienststelle (la Wast, désormais Bundesarchiv).
Mort en Normandie… et en Russie !
Récemment encore, il a pu définir le lieu d’inhumation (un cimetière de Pilsen en République Tchèque) d’Yvonne Keil, une Alsacienne qui effectuait son RAD (Reichsarbeitsdienst) près de Munich et qui, grièvement blessée à la suite du mitraillage d’un train au bord duquel elle circulait, est décédée dans un hôpital tchécoslovaque en juin 1945.
Il tombe quelquefois sur des dossiers particulièrement étonnants. Comme celui de François Schuster, né en 1926 à Hochfelden. Incorporé dans la Waffen SS, il combat au sein de la Das Reich. Or, selon les archives, il serait mort à la fois lors des combats contre l’armée Patton, hypothèse française, et lors d’une retraite sur le front de l’est selon les Allemands ! Qui dit vrai et où se trouve le corps ? L’enquête est en cours et Claude attend beaucoup d’un dossier que la Croix Rouge doit lui transmettre.
Décédé à deux reprises
Autre énigme, celle d’Albert Schrenck, qui serait mort à deux reprises selon les archives françaises. « C’est son neveu qui m’a demandé des informations. J’ai contacté Berlin qui m’a permis de résoudre cette histoire. Caen a en réalité mélangé deux dossiers : celui de l’Alsacien Schrenck et celui d’un Allemand appelé Eduard Schreck ! Ce dernier est mort dans les Vosges en octobre 44 et l’Alsacien est décédé en septembre 44 à Iwla, en Pologne. Aucune tombe n’est répertoriée à son nom ».
Il y a aussi de belles histoires. « Pendant des décennies, la famille de Xavier Pfost a cru que le corps de ce jeune homme, mort durant une traversée entre Sébastopol et la Roumanie, avait été jeté dans la mer Noire, raconte Claude Herold. La veuve du défunt était encore vivante lorsque j’ai pu indiquer à sa fille, à l’origine de la demande de recherche, que son père avait été inhumé en Roumanie, dans un cimetière géré par le VDK [Volksbund Deutsche Kriegsgraberfursorge, l’organisme allemand en charge de l’entretien des tombes] ».
Patrick Kautzmann devant la tombe de Xavier Pfost, retrouvée en Roumanie. Photo DRTrois oncles disparus
Le dossier de ses oncles, Ernest, Albert et René, lui tient évidemment plus particulièrement à cœur. D’ailleurs, c’est cette histoire familiale qui l’a poussé à se pencher sur le cas des portés disparus. René ne l’est plus, Claude ayant réussi à déterminer son lieu d’inhumation : un vaste espace mémoriel en Italie. L’enquête suit son cours pour les deux autres Malgré-nous. « Albert a disparu en Pologne en janvier 45 et Ernest est mort au combat dans un village au nord de Pleskau en septembre 1944 et laissé sur place par ses camarades qui ont battu en retraite ». Tenace, Claude Herold ne lâchera pas l’affaire.
(*) Dans l’ouvrage « Les Malgré-nous », l’incorporation de force des Alsaciens-Mosellans dans l’armée allemande » (2019, édition Ouest France), l’auteur Nicolas Mengus rappelle ces chiffres : 142 500 incorporés de force dont 15 000 femmes. 30 400 morts ou portés disparus (chiffre actualisé grâce aux recherches en lien avec le projet avorté du « mur des noms » mais sûrement sous-estimé) et 30 000 blessés ou invalides.
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